Présentation du texte | Pétersbourg | Líhomme et la société | Le fantastique et l'étrange | La narration | Le destin des personnages |
I Contexte historique et littéraire II Gogol III L'unité du recueil |
I Historique II Le Pétersbourg de Gogol 1/ La transformation du mythe 2/ Les bas-fonds III Un monde de perte et d'illusions 1/ Un espace fragmenté 2/ La promenade et le mensonge 3/ Un lieu infernal |
I Un espace social restreint 1/ Un milieu déterminant 2/ Les fonctionnaires : la tyrannie du grade 3/ les peintres : l'idéal impossible II Une société mercantile : l'argent et le diable III Aliénation et médiocrité |
I Définitions et classement des nouvelles II Le fantastique 1/ L'hésitation fantastique 2/ Des motifs traditionnels du fantastique 3/ Le fantastique moderne III L'absurde |
I Le narrateur des Nouvelles de Pétersbourg II Techniques de la description 1/ Les scènes de genre 2/ Le grossissement III L'arabesque 1/ La digression 2/ Le mélange des tons |
I Des destins parallèles 1/ Des noms-programmes 2/ Comparaison des schémas narratifs II Des personnages marionnettes 1/ L'insignifiance 2/ Désirs et frustrations III La folie et la mort 1/ Des personnages aliénés 2/ Les formes de la folie 3/ Le tragique |
La Perspective Nevsky | Le Journal d'un Fou | Le Nez | Le Manteau | Le Portrait | |
I Composition II Les voix narratives III Illusion et désillusion IV Images de la femme |
I Composition II Folie et lucidité 1/ La multiplicité des points de vue 2/ Les vérités du fou III Les délires de Popritchine 1/ Narcissisme et schizophrénie 2/ La fuite hors du monde |
I Composition II Le fantastique ordinaire III Les sens du Nez 1/ La satire sociale 2/ Lecture psychanalytique 3/ Le Nez comme jeu littéraire |
I Composition II Le personnage d'Akaki Akakiévitch 1/ Le baptême et les sens d'un nom 2/ Désir et tentation 3/ La vengeance posthume III Tragique, comique et pathétique |
I Composition II Le Portait I : l'hésitation fantastique III L'art, entre le diable et Dieu |
Travaux préparatoires :
1. Lire le recueil.
2. - Relever les noms et professions des personnages principaux de chaque nouvelle.
- Quels points communs repérez-vous entre ces cinq nouvelles ?
Introduction
Le recueil est constitué de cinq nouvelles écrites entre 1833 et 1843,
et, à l'exception du Manteau, toutes écrites, au moins dans une première
version, entre 1833 et 1835.
Elles n'ont jamais été réunies en recueil par Gogol lui-même,
mais elles ont été regroupées dans le tome 3 de ses oeuvres complètes
éditées de son vivant (1843), ce qui signale une volonté claire de
les associer sous le signe de Pétersbourg (de là le titre du recueil, consacré
par une longue tradition éditoriale).
L'ordre original des nouvelles (qui n'est pas celui de l'édition GF) est le
suivant :
-La Perspective Nevski
-Le Portrait
-Le Journal d'un Fou
-Le Nez
-Le Manteau
L'important est ici la première place de la nouvelle " La perspective Nevski
" qui prend dès lors une valeur inaugurale très nette (cf. première
phrase).
Toutes ces nouvelles ont un point commun évident : le cadre spatio-temporel
de l'intrigue, le Pétersbourg contemporain de Gogol.
I Contexte historique et littéraire
-règne de Nicolas Ier (1825-1856), tsar despotique
régime marqué par une répression très vive de toute contestation,
de toute tentative d'affirmation d'une pensée libre et par la dérive bureaucratique
de la capitale
de là le renforcement de l'opposition traditionnelle entre Moscou et Saint-Pétersbourg
:
Moscou devient le refuge des idées libérales et du débat intellectuel
et politique (dans le cadre de la censure)
Saint-Pétersbourg devient une ville étouffante, cynique, bureaucratique
et mercantile ; cet état d'esprit est, dans le recueil, incarné en particulier
par le journal L'Abeille du Nord lu par plusieurs personnages (ce qui est, dans l'esprit
de Gogol, un indice de leur médiocrité) (réf. p. 64, 100, 147, implicitement
168)
-les Russes lettrés de la fin du XVIIIème siècle s'exprimaient en
français ; Gogol est, avec Pouchkine, le premier grand auteur à écrire
en russe et son oeuvre est marquée par cette affirmation de l'identité
nationale russe ; ainsi, le français parlé par les personnages du "
Journal d'un Fou " ou du " Portrait " est à lire comme un signe
d'affectation et de snobisme (ex : p. 170)
II Gogol
Trois points importants dans sa biographie :
-Gogol est ukrainien (et non russe) ; son immense déception lors de sa venue
à Petersbourg (cf. correspondance) entraîne chez
lui, par réaction, une idéalisation de l'Ukraine (cf. Les Veillées
du Hameau, 1832) et sa vision de Pétersbourg se forme par opposition avec celle
de sa terre natale : opposition de climat, opposition entre la tradition paysanne,
la communauté " organique ", l'authenticité russe (l'Ukraine
est le berceau de la civilisation russe) d'une part et la capitale , ville "
européenne " et sans identité, d'autre part
-amitié avec Pouchkine ; ils sont tous deux, Pouchkine pour la poésie,
Gogol pour la prose, les fondateurs de la littérature russe (même si on
classe en général le premier parmi les occidentalistes et le second parmi
les slavophiles)
- l'oeuvre de Gogol est très concentrée dans le temps ; et on ne peut passer
sous silence la folie mystique et le délire ascétique dans lesquels il
sombrera à la fin de sa vie (cf. biographie), d'autant
qu'a posteriori, de nombreux passages du recueil peuvent apparaître comme des
signes précurseurs de cette folie à venir. Par ailleurs, cela explique
en grande partie les contradictions aisément repérables entre l'oeuvre
littéraire de Gogol et ses théories esthétiques (cf. en particulier
la deuxième partie du Portrait qui date de 1842).
III L'unité du recueil
(réponse aux questions posées en travail préparatoire)
-cinq nouvelles toujours découpées en plusieurs parties, parfois explicitement
(Le Portrait, Le Nez), parfois implicitement .
-l'unité du recueil tient aux faits suivants:
-le cadre spatio-temporel > cours 1 :Pétersbourg
-la relative unité sociologique > cours 2 : L'homme et
la société
-les épisodes fantastiques > cours 3 : Le fantastique
et l'étrange
-le ton très particulier des récits > cours 4 : La
narration
-la construction dramatique des nouvelles > cours 5 : Le
destin des personnages
Travaux préparatoires :
1. Relire La Perspective Nevsky.
2. -Déterminer la composition de la nouvelle.
-Lecture des deux descriptions de la Perspective Nevsky
-p. 113-119 : selon quel principe est organisée cette description ? quelles
en sont les principales figures de style ?
-p. 148-149 : comparer cette description à la précédente.
3. Lecture de la description de Kolomna : selon quel principe est-elle organisée
?
I Historique
Pétersbourg a été fondée par Pierre le Grand (1672-1682-1725)
; le transfert de la capitale (à la place de Moscou) a eu lieu en 1712-1713
-construction extrêmement volontariste sur une étendue de marais ; chantier
gigantesque qui provoqua des milliers de mort ; objectif de Pierre le Grand : "
créer une fenêtre de la Russie sur l'Europe " :
Pétersbourg est un défi à la fois du point de vue de l'histoire (s'oppose
à Moscou, à la tradition russe, à l'organisation du territoire) et
du point de vue de la géographie (conditions naturelles très défavorables,
ville excentrée, ville frontalière)
-volonté de créer une ville européenne non seulement dans son architecture
mais aussi dans son fonctionnement social (bureaucratisation, vêtements occidentaux,
obligation de se raser (cf. le personnage du barbier dans " Le Nez ", modes
européennes (vin, café, chocolat))
-le caractère paradoxal de cette ville donne lieu à deux mythes littéraires
radicalement opposés :
-une première version célèbre la splendeur architecturale et fait
de Pétersbourg le symbole du pouvoir étatique qui défie la nature
et le cours de l'histoire ; le tsar Pierre le Grand est une sorte de Prométhée
ou de dieu créateur (littérature " officielle " du XVIIIème
siècle)
-une seconde version, dont on peut apercevoir les prémices dans " Le Cavalier
de bronze " de Pouchkine (1831) (la capitale y apparaît certes majestueuse,
mais aussi inquiétante et écrasante puisque Eugène sombre dans la
folie), qui présente la capitale comme une ville étrangère, contre-nature,
marquée par la malédiction originelle des milliers d'ouvriers morts pendant
sa construction ; le tsar apparaît comme un sorte d'antéchrist (cf. la
hantise du diable chez Gogol ainsi que le démon qui fait régner le mensonge
sur la perspective Nevski, p. 149)
II Le Pétersbourg de Gogol
1/ La transformation du mythe
-aucune mention du caractère somptueux de la ville, aucune référence
aux palais ou aux cathédrales : deux mentions de monuments (l'Arc de triomphe
de l'état-major, p. 148 ; la statue équestre de Pierre le Grand (le cavalier
de bronze de Pouchkine), p. 34), toutes deux grotesques ; il s'agit donc d'une dégradation
ironique du premier mythe de Pétersbourg
-la structure actancielle du " Manteau " reprend celle du " Cavalier
de bronze " : le petit fonctionnaire / la Nature hostile (l'inondation-le froid)
/ l'Etat (le cavalier de bronze-le personnage important) / un désir (désir
amoureux- désir du manteau) mais à la différence du poème de
Pouchkine, le représentant de l'état n'est plus une incarnation de la puissance
et de la majesté mais un homme fragile, peureux et vide, semblable au fond au
petit fonctionnaire qu'il terrorise
Dans toutes les nouvelles de Gogol, Pétersbourg apparaît comme un lieu
brumeux et inquiétant, à l'identité incertaine
2/ Les bas-fonds
Gogol se concentre uniquement sur les bas-fonds de Pétersbourg (pendant longtemps,
la critique ne verra en lui que le fondateur du réalisme social russe):
-les personnages habitent des quartiers périphériques et défavorisés
(île Vassili, Kolomna cf. plan Pétersbourg)
-Gogol n'hésite pas à décrire des réalités sordides, en
particulier les escaliers des maisons Pétersbourgeoises (pp. 36, 69, 155...)
-surtout, Pétersbourg n'est l'occasion d'aucune description proprement dite
mais apparaît comme un univers répétitif et décoloré, fait
de ministères et de bureaux sans visage (p. 120 : " tout est plat, pâle,
humide, brumeux ")
III Un monde de pertes et d'illusions
1/ Un espace fragmenté
(réponse à la question des travaux préparatoires) les descriptions
obéissent à une organisation non pas spatiale, mais " sociologique
" (+ temporelle dans " La Perspective Nevsky ")
A Pétersbourg, la proximité spatiale est contredite par une loi supérieure
: le cloisonnement social ; l'espace est divisé, cloisonné (cf. Akaki Akakiévitch
p. 45, Piskariov p. 127) ; cette loi ne connaît pas d'exceptions, même
au sein des bas-fonds " l'aristocratie " se distingue du " menu fretin
" (Kolomna, p. 187-188)
Cf. surtout la description inaugurale de la Perspective Nevsky : défilé
des différentes catégories sociales selon une succession extrêmement
réglée, s'excluant explicitement l'une l'autre (p. 114-115) (c'est à
proprement parler un anti-carnaval)
(réponse à la question des travaux préparatoires) figures principales
de la description : hyperbole ironique (admiration feinte ) et synecdoque (individualisation
des moustaches, favoris, manches, tailles etc.)
La synecdoque est la figure fondamentale de la nouvelle et est à lire comme
le signe du morcellement de la capitale ; la Perspective Nevsky est d'abord une synecdoque
de la capitale Pétersbourg (cf. traduction littérale de la fin de la première
phrase : " elle est tout pour elle [la capitale] "), on peut ensuite repérer
une double fragmentation :
-la population est divisée en classes (mendiants,gouvernantes et précepteurs,
fonctionnaires, registrateurs de collège..)
-les individus sont réduits à des fragments (favoris, tailles, moustaches,
manches, sourires...)
L'univers de Pétersbourg est donc un monde éclaté
2/ La promenade et le mensonge
Cet émiettement montre également que la Perspective Nevsky se définit
comme le monde du paraître (cf. digression sur les " cordonniers "
p. 117) : tout y est soumis au regard ; de là l'importance de la promenade,
seule distraction de Pétersbourg ; se promener, c'est à la fois regarder
et être soumis au regard de l'autre et à son appréciation (cf. Kovaliov,
p. 91 ; cf. Tchartkov dont le premier geste après qu'il a découvert l'or
diabolique est d'acheter un appartement sur la Perspective Nevsky, avec glaces et
vitres (signe d'un double désir, voir et être vu), p. 167).
Cette réduction de l'individu à un attribut révélateur est caractéristique
d'un phénomène de réification du sujet : Pétersbourg est la ville
qui transforme l'homme en chose et qui érige le superflu en valeur suprême
(cf. les moustaches : " leurs propriétaires y consacrent la meilleure partie
de leur existence ")
Ce phénomène est parfaitement illustré par la nouvelle Le Nez où
l'angoisse (omniprésente dans le recueil) d'un corps morcelé est portée
à son comble puisque le nez acquiert une totale autonomie et devient un individu,
cela par la magie du vêtement : c'est l'uniforme qui confère l'être.
Pétersbourg apparaît donc comme la cité de l'imposture et il est intéressant
d'observer la façon dont sont décrits les personnages qui a priori tentent
d'échapper à cet esprit de mensonge, le narrateur-passant de la Perspective
Nevsky (p. 148) et le peintre Piskariov qui ne survivra pas à la découverte
de cette contradiction entre l'être et l'apparence (puisque la " sylphide
" s'avère être une prostituée) (p. 121) : tous deux ne regardent
pas, le narrateur s'enveloppe dans son manteau, Piskariov regarde toujours au-delà
de son interlocuteur...
3/ Un lieu infernal
Plusieurs références font de Pétersbourg un monde infernal, gouverné
par le diable (grande angoisse de Gogol) :
-cf. description de Kolomna, monde de cendreux où " tout désir et
toute ardeur juvénile vous quitte "
-cf. toutes les descriptions qui suggèrent qu'à Pétersbourg règne
un froid éternel et définitif, par exemple l'atelier de Tchartkov aux vitres
gelées
En particulier si l'on étudie la chronologie du " Manteau ", on s'aperçoit
que, quoique l'action s'étale sur environ sept mois, le même froid glacial
dure du début de la nouvelle (vraisemblablement vers novembre puisque Akaki
Akakiévitch espère " une gratification pour les fêtes ")
jusqu'à la fin, lorsque le personnage important se fait dépouiller de son
manteau (vraisemblablement vers mai, si l'on additionne les différents délais
nécessaires à l'achat du manteau : les trois mois de privations, le temps
nécessaire à la confection etc.).
-cf. toutes les références au diable qui, semble-t-il, règne sur la
capitale (cf. en particulier les derniers mots de " La Perspective Nevsky ")
Cette fragmentation, cet émiettement paraissent ainsi l'oeuvre du démon
:
" on aurait dit que quelque démon avait brisé l'univers en morceaux
pour ensuite les mélanger sans aucun ordre " (p. 127)
Le diable est omniprésent dans l'oeuvre de Gogol, mais " La Perspective
Nevsky " en propose sans doute la version la plus inquiétante, la moins
folklorique : celui-ci a quitté les forêts d'Ukraine pour se réfugier
dans la ville, royaume du trompe-l'oeil, du sortilège et de la démence
; ce n'est plus le diable cornu des " Veillées du Hameau " mais un
diable insaisissable, dissous, qui s'insinue dans la ville, profitant à la fois
de la brume et de la foule.
Travaux préparatoires :
1. Relire Le Journal d'un fou.
2. -Déterminer la composition de la nouvelle (découpage chronologique).
-A quoi attribuez-vous la folie du narrateur ?
-Quels sont, selon vous, le sens et la fonction de la correspondance des chiens ?
3. Relever trois occurrences du thème de l'obsession du grade dans les quatre
autres nouvelles.
Introduction
-relative unité sociologique des personnages principaux des nouvelles ; presque
tous sont humbles ou modestes : ce sont des figures du " petit homme "
ou de " l'homme de petite envergure " ; Gogol apparaît de cette façon
comme le père du réalisme humanitaire russe
-par ailleurs, perception extrêmement visionnaire de l'aliénation et de
l'enfer bureaucratique ; en ce sens, Gogol annonce également Kafka
I Un espace social
1/ Un milieu déterminant
-les héros apparaissent définis par leur milieu ; il y a une sorte de lien
organique entre le personnage et la catégorie sociale à laquelle il appartient
(cf. portraits de Piskariov, p. 120-121, Pirogov, p. 138 ; cf. les favoris de Kovaliov
p. 91) : les personnages apparaissent comme la réalisation d'un type ; d'où
une typologie assez claire: les artisans allemands, les assesseurs de collège,
les artistes bohèmes, les conseillers titulaires etc.
-deux grandes catégories de personnages principaux (cf.
Les personnages) :
les fonctionnaires et les peintres
pour eux, toutes les autres catégories sociales sont reléguées dans
un monde inaccessible (cf. Portrait, p. 172 ; Perspective Nevsky, p. 127 ; Journal
d'un Fou, p. 66-68) (opposition lexicale très nette entre un monde de lumière
(thème du scintillement, de l'éblouissement) et de vitesse (les calèches
qui " passent en trombe ") et un monde de pénombre où règne
un froid pétrifiant)
2/ Les fonctionnaires : la tyrannie du grade
-la table des rangs (invention de Pierre le Grand avec pour objectif de créer
une noblesse de service à côté de la noblesse héréditaire)
: quatre hiérarchies avec des correspondances entre elles : hiérarchie
de Cour, militaire, civile et ecclésiastique
La Table des rangs
1 collège : ancien nom des ministères
-dans le recueil, le grade (tchin) constitue une sorte d'essence sociale qui définit
la place de l'individu dans la vie en général (cf. première page du
Manteau : " quant au grade... ")
il y a une forme d'emprise presque fantastique du tchin et de la position administrative
sur la population de Pétersbourg (cf. les favoris noirs et brillants réservés
aux fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, Perspective
Nevsky, p. 116) ; presque tous les personnages de Gogol souffrent de " tchinomanie
" ; c'est le cas en particulier de Pirogov (p. 139), de Kovaliov qui peut "
excuser les attaques contre sa personne mais ne pardonne aucune atteinte à son
grade " (p. 101), du personnage important du Manteau et bien sûr de Popritchine
(dont le nom renvoie à popritché, carrière) dont l'unique préoccupation
dans la première partie de la nouvelle est la définition de ses rapports
avec les autres selon leur place dans la hiérarchie sociale (il méprise
ses " inférieurs ", p. 65 ; admire éperdument son directeur,
p. 64 ; et est plein d'une jalousie haineuse pour son supérieur immédiat,
son chef de bureau, p. 61)
3/ les peintres : l'idéal contre la médiocrité
Tchartkov et Piskariov sont deux personnages de la bohême de Pétersbourg
; ils ont une psychologie relativement semblable (timidité, ardeur au travail,
mépris des convenances) ; tous deux sont, au départ, relativement attachants
et paraissent comme les âmes d'un monde sans âme mais tous deux ont un
destin fatal.
Tchartkov est tiraillé entre une aspiration élevée et une ambition
prosaïque de réussite sociale ; l'histoire de Piskariov est celle d'une
cruelle et mortelle désillusion ; en un sens, il s'agit donc de deux intrigues
romantiques reposant sur une opposition entre idéal et réalité (cf.
les réveils des deux personnages après leurs songes, p. 131-132, p. 161),
mais la réponse qu'apporte Gogol à ce dilemme est très anti-romantique
; c'est particulièrement net dans le cas de Piskariov dont la désillusion
est relatée avec une grande cruauté et dont la naïveté est l'objet
de l'ironie mordante du narrateur (cf. fiche sur " La Perspective Nevsky ").
Il est clair en tout cas que, pour Gogol, aucun idéal élevé est n'est
réalisable à Pétersbourg et qu'il n'y a sans doute pas d'autre solution
que fuir la capitale.
II Une société mercantile : l'argent et le diable
Pétersbourg du recueil= celui des années 1830, donc du capitalisme naissant.
Gogol dénonce déjà le développement de " l'esprit mercantile
qui gouverne tout Pétersbourg " (Perspective Nevsky, p. 113) (cf. aussi
la description du banquier au début du " Portrait II ", p. 185).
L'argent joue donc un rôle fondamental dès lors qu'il détermine la
hiérarchie sociale et souvent le destin du personnage. Ex : les privations de
Akaki Akakiévitch, les humiliations de Tchartkov par son propriétaire ;
la réflexion de Popritchine : " pas d'argent, voilà le malheur ! "
Trois fléaux sociaux liés à l'argent empoisonnent Pétersbourg
:
-l'usure (cf. " Le Portrait II ")
-la corruption (plusieurs allusions discrètes : dans " Le Nez " -les
offres de rasage gratuit et un passage censuré où Kovaliov remerciait l'officier
de police en lui glissant un billet de banque-, dans " Le Journal d'un Fou "
-les avantages qu'il y a à travailler à la Trésorerie plutôt
que dans un ministère)
-la prostitution (cf. Perspective Nevsky, la volonté de Piskariov d'arracher
la belle prostituée à sa condition est un grand thème du romantisme
humanitaire)
L'argent apparaît destructeur, c'est un instrument du diable (cf. " Le
Portrait " I & II) ; en cela, Gogol retrouve la tradition à la fois
romantique et chrétienne.
III Aliénation et médiocrité
Le comportement de bon nombre de personnages est dirigé par ce qu'ils pensent
devoir à leur grade : très souvent, le personnage s'identifie intégralement
à sa fonction (cf. les réactions " corporatistes " ironiquement
mentionnées au début du " Manteau " (p. 29) ou dans " Le
Nez " (p. 91))
Deux versions de l'aliénation :
-une version pathétique et extrême : le copiste Akaki Akakiévitch,
condamné à la répétition par son nom même.
-une version vulgaire, le plus fréquente : existences futiles et répétitives
cf. la notion de " potchlost " (notion intraduisible selon Nabokov, mélange
de médiocrité et de vulgarité satisfaite, renvoyant à tout ce
qui est faussement beau, faussement intelligent et à toutes les formes de platitude
morale et intellectuelle)
presque tous les personnages des nouvelles sont vides : le directeur de Popritchine,
Ivan le valet de Kovaliov, le médecin du " Nez ", le personnage important
du " Manteau ", Kovaliov et surtout Pirogov, vériable incarnation
de cette médiocrité (cf. ses occupations décrites p. 138-139)
De là, l'ambiguïté fondamentale de Popritchine : au départ, fonctionnaire
obséquieux et plein de rancoeur, il devient paradoxalement plus lucide et plus
humain en sombrant dans la folie : son délire schizophrénique est plein
de vérités (cf. ses réflexions sur le grade qui, au fond, ne signifie
rien, p. 75). L'autre point de vue lucide dans la nouvelle est celui de la chienne
Medji (cf. ce qu'elle écrit des conversations de Tiéplov et de Sophie ou
de la décoration reçue par le directeur -procédé classique de
la satire : développement d'un point de vue extérieur et naïf qui
permet de dénoncer les travers de la société observée)
Sur le fond cependant, vision extrêmement noire ; Piskariov ne survit pas à
sa tentative pour extraire la prostituée de la vulgarité, et dans ce monde
de médiocrité, la lucidité est réservée aux chiens et aux
fous.
Travaux préparatoires :
1. Relire Le Nez.
2. Déterminer la composition de la nouvelle et relever les contradictions de
l'intrigue.
3. -Lecture des pages 161-163 (rêves de Tchartkov) : en quoi ce texte est-il
fantastique ?
-Classer, autant que possible, les nouvelles selon l'opposition fantastique/ étrange/
merveilleux.
Introduction
L'oeuvre de Gogol reproduit le déplacement opéré par Hoffmann (à
qui le texte fait explicitement référence dans " La Perspective Nevsky
") : le surnaturel quitte l'univers folklorique des contes pour se transporter
dans le monde contemporain des villes.
I Définitions et classement des nouvelles
Deux types de définition du fantastique :
-selon des critères thématiques : le fantastique est caractérisée
par certaines figures issues des profondeurs de la vie psychique liées à
des mécanismes inconscients (ex : le double, l'objet animé, l'animal parlant...)
-selon des critères plus " théoriques " :
cf. classement de Todorov : merveilleux / étrange / fantastique
La définition de Todorov est séduisante mais un peu simplificatrice ; d'abord
parce qu'elle n'attribue l' " inquiétude " ressentie à la lecture
des textes fantastiques qu'à une hésitation logique (surnaturel accepté
/ expliqué) et disqualifie la part psychologique de cette inquiétude ;
ensuite parce qu'elle ne traite pas du problème du " surnaturel expliqué
" par un raisonnement insuffisant ou décalé (c'est le cas par exemple
dans " Le Nez " où les explications données à l'événement
surnaturel sont rocambolesques et incohérentes mais sérieusement envisagées
par les personnages) ; enfin parce qu'elle s'applique parfaitement dans un cas de
focalisation interne (les hésitations du personnage devant l'événement
surnaturel sont aussi celles du lecteur) mais qu'elle ne s'applique pas toujours
aussi bien lorsque la narration joue sur différents points de vue (dans "
Le Nez ", le surnaturel est " accepté " par le personnage mais
semble totalement rejeté par le narrateur à la fin de la nouvelle).
En conservant le principe de classement de Todorov, on obtient :
-" Le Portrait ", " Le Manteau " : textes fantastiques (c'est
un peu discutable pour " Le manteau " qui, par certains aspects, se rapproche
du merveilleux)
-" La Perspective Nevsky ", " Le Journal d'un Fou " : textes
étranges (l'hésitation est résolue ; l'événement insolite
s'explique par le rêve de Piskariov d'une part, par la folie de Popritchine
d'autre part; cela dit, un problème se pose dans cette nouvelle à propos
de la correspondance des chiens qui ne peut pas être entièrement considérée
comme un production du délire de Popritchine puisqu'elle contient des informations
qu'il est incapable de connaître)
-" Le Nez " : texte merveilleux puisque l'événement explicable
ne suscite aucune remise en cause de la part des personnages ; le surnaturel est
accepté au sens où le nez ayant disparu, le problème qui se pose à
Kovaliov n'est pas " comment est-ce possible ? " mais " comment faire
face ? " -la définition de Todorov suppose en réalité que le
surnaturel est accepté par le lecteur, mais ici l'intérêt est
justement dans cette disjonction entre la réaction du personnage et celle du
lecteur (telle qu'au moins on peut la supposer) devant l'événement surnaturel.
II Le fantastique
1/ L'hésitation fantastique
" Le Portrait I" est un texte où la définition de Todorov s'applique
parfaitement ; le lecteur est placé dans une hésitation que rien dans le
texte ne permet de résoudre: le destin tragique de Tchartkov est-il la conséquence
d'un dévoiement dû à la trouvaille accidentelle du rouleau d'or ou
la conséquence de l'intervention surnaturelle du diable ?
Etudier en particulier avec les élèves la scène des rêves enchâssés
(p. 162-163) où le jeu sur la focalisation interne met très clairement
en évidence l'hésitation entre explication rationnelle et irrationnelle
(" Etait-ce un cauchemar, les sortilèges d'un démon, le délire
de la fièvre ou s'agissait-il d'un être réel ? ").
" Le Portrait II " et " Le Manteau " peuvent être également
classés comme des textes fantastiques même s'ils réalisent de façon
moins " pure " la définition de Todorov en particulier parce que le
surnaturel (le caractère " réellement "diabolique de l'usurier
dans un cas, le fantôme d'Akaki dans l'autre) qui semble en grande partie accrédité
par le narrateur est cependant toujours assourdi par un phénomène de modalisation
: " on raconte que... ", " il paraît que... ", " certains
prétendent même... ". De plus l'hypothèse d'une explication rationnelle
n'est jamais totalement exclue : le fantôme d'Akaki n'est peut-être finalement
qu'une hallucination du " personnage important " torturé par le remords
; peut-être aussi n'est-il que le voleur d'Akaki comme le laisse entendre la
fin de la nouvelle.
2/ Des motifs traditionnels du fantastique
Le fantôme, le diable, les animaux parlants, le portrait animé ou l'objet
animé sont des motifs hérités du fantastique romantique où souvent
l'irruption du fantastique est la conséquence d'une transgression (ex : "
Le Portrait I " où le destin de Tchartkov peut être envisagé
comme la " conséquence " du vol du rouleau ou de la corruption du
journaliste).
Ces motifs doivent leur caractère inquiétant à leur contenu fantasmatique
(ex : l'échange animé/ inanimé analysé par Freud dans "
L'inquiétante Etrangeté ").
3/ Le fantastique moderne
Il s'agit d'un type de fantastique beaucoup moins pittoresque , beaucoup plus abstrait
et fondamental et dont on trouve l'esquisse dans " Les Nouvelles de Pétersbourg
" :
-le héros est solitaire, souvent anonyme, et sa catégorie sociale n'est
pas déterminante (il n'est plus alchimiste, usurier, antiquaire ou aubergiste
mais fonctionnaire par exemple)
-le décor n'est plus spécifique (ce n'est plus Venise, la lande ou une
abbaye mais une ville ou une chambre)
-et surtout le fantastique n'est plus localisé, attaché à un objet
particulier souvent mystérieux (une main coupée, une chevelure ou un portrait)
mais il est devenu beaucoup plus général et abstrait : le monde lui-même
semble vaciller.
En ce sens, on peut dire que le Pétersbourg de Gogol est un univers fantastique
parce que c'est un univers détraqué (cf. le thème du brouillage temporel
et spatial, la perte de repères, ex : la ville apparaissant comme un monde uniforme
et répétitif, la chronologie dilatée du " Manteau ").
Les " Nouvelles de Pétersbourg " sont des textes fantastiques parce
qu'on y trouve des motifs fantastiques mais surtout parce qu'elles mettent en scène
un monde fondamentalement déréglé.
III L'absurde
" Les Nouvelles de Pétersbourg ", en particulier " Le Nez "
qui est sans contexte la plus énigmatique, illustrent une catégorie plus
générale au-delà du fantastique, celle d'absurde.
Ainsi, la difficulté de l'analyse du " Nez " tient en grande partie
au fait que la logique y est systématiquement contredite à tous les niveaux
:
-l'enchaînement des faits est absurde (par exemple, le nez est, à la fin
de la première partie, jeté dans la Néva mais il réapparaît
ensuite ; l'équivoque est constante entre le nez-organe et le nez-personnage
et l'on passe de l'un à l'autre comme si de rien n'était)
-la réaction des personnages devant l'événement surnaturel est absurde
(la femme d'Ivan Iakovlévitch menace de le dénoncer à la police parce
que celui-ci a trouvé un nez dans son pain, Kovaliov fait passer une petite
annonce pour retrouver son nez etc.)
-les raisonnements des personnages sont absurdes (par exemple, Ivan Iakovlévitch
s'étonne de la présence du nez dans le pain parce que " le pain est
une denrée cuite alors que le nez, lui, c'est tout différent..." ;
le major Kovaliov conclut " après avoir bien examiné les choses ",
que la coupable de la disparition de son nez est Pélaguéia Grigorievna
etc. -on trouve des phénomènes semblables dans " Le Journal d'un Fou
")
-le monde de Pétersbourg est soumis à des lois absurdes : les favoris noirs
sont réservés aux fonctionnaires du Ministères des affaires étrangères
(Perspective Nevsky, p . 116) ; " les propriétaires de Koursk écrivent
généralement très bien " (Journal d'un Fou, p. 65) ; les femmes
menacent de s'envoler emportées par leurs manches (Perspective Nevsky, p. 117)
-enfin, le discours du narrateur est lui-même absurde et est truffé d'alogismes
(distorsions entre la forme syntaxique et le contenu sémantique) : Pétrovitch
rapièce avec assez de succès les pantalons bien qu'il soit
borgne et marqué de petite vérole ; les dames qui menacent de s'envoler
sont maintenues à terre par leur cavalier, en effet, soulever une femme
est aussi facile que de porter à sa bouche une coupe de champagne etc.
Le fantastique est donc aussi un effet de langue; et en effet, si le fantastique
remet en cause les règles de la raison, il n'est pas étonnant qu'il remette
également en cause l'organisation même du langage. C'est ainsi qu'il y
a chez Gogol un fantastique du style : par exemple, le thème traditionnel de
l'échange animé/ inanimé est poussé à l'extrême par
la figure de la synecdoque dans " La Perspective Nevsky " et surtout "
Le Nez ", véritable synecdoque réalisée.
Le fantastique et l'absurde remplissent ainsi une fonction critique de révélateurs
: ils permettent d'exhiber les contradictions d'un monde déréglé et
souvent injuste.
Travaux préparatoires :
1. Relire Le Manteau.
2. -Déterminer la composition de la nouvelle.
-Quelles tonalités repérez-vous dans le récit ?
-Relever les incursions du narrateur dans le récit ; à quel propos intervient-il
?
3. Repérer un procédé similaire dans deux autres nouvelles.
I Le narrateur des " Nouvelles de Pétersbourg "
Deux cas particuliers : " Le Journal d'un Fou ", récit à la première
personne et en focalisation interne ; " Le Portrait ", narrateur extérieur,
alternance de focalisations.
Les autres textes : un narrateur fait des incursions de discours à la première
personne au sein du récit, ce qui est caractéristique du conteur
qui intervient en son nom au cours d'une narration orale à un public présent.
D'une manière générale, le narrateur des " Nouvelles de Pétersbourg
" est extrêmement désinvolte : il affirme sacrifier aux lois du genre
lorsqu'il présente un personnage ; il justifie son silence par un défaut
de mémoire ou un manque d'informations etc.
Le ton du recueil est donc, dans l'ensemble, très particulier, c'est celui du
bavardage, de la conversation négligée ...au point que le narrateur à
la fin du " Nez " en vient à dénier l'histoire qu'il vient de
raconter.
Dans une certaine mesure, Gogol est donc à rapprocher de la tradition des récits
picaresques à la façon de Cervantès, Diderot, et surtout Sterne pour
" Le Nez ", récits faits de coq-à-l'âne, d' " écriture
au second degré " etc.
II Techniques de la description
1/ Les scènes de genre
Elles sont nombreuses dans le recueil et ont contribué à la réputation
d'écrivain réaliste de Gogol (par ex. les premières heures sur la
Perspective Nevsky, la cour de l'immeuble habité par Piskariov etc.).
Plusieurs tableaux d'intérieur fonctionnent comme des signes qui associent un
personnage à son milieu et deviennent des révélateurs de la hiérarchie
sociale : ainsi, les ateliers de Schiller, Pétrovitch, Tchartkov, la bibliothèque
du directeur de Popritchine avec des livres en français et en allemand...
Il y a chez Gogol un jeu sur les descriptions génériques qui associe à
une vision très précise une généralisation qui semble paradoxale
; ainsi, les comédiens de Kolomna qui " assis en robe de chambre, réparent
leurs pistolets et collent du carton pour fabriquer toutes sortes d'objets ".
2/ Le grossissement
Le grossissement à l'extrême d'un détail (qui parfois finit par effacer
le reste de la scène) est un caractère très frappant de la description
chez Gogol; dans certains cas, la connotation sexuelle de ce " fétichisme
" est évidente (c'est le cas en particulier pour toutes les mentions de
jambes et de souliers féminins qu'on trouve dans " Le Manteau ", "
Le Nez ", " Le Journal d'un Fou ") ; dans d'autre cas, le grossissement
est, en focalisation interne, le signe d'une déstabilisation du personnage (ainsi
de l'ongle de Pétrovitch puis de la tabatière orné d'un général
sans visage dans " Le Manteau " lorsque Akaki apprend qu'il lui faut un
manteau neuf; ainsi des manchettes du docteur lorsque Kovaliov apprend que son nez
ne peut être recollé; ainsi de la botte à éperon et du manteau
d'officier (ceux de Pirogov ?) aperçus par Piskariov au moment où il comprend
" où il est tombé "). Dans ces derniers cas, la vision se brouille
et le personnage se raccroche à un détail souvent symbolique ; on retrouve
le morcellement de la vision qui, en interdisant toute représentation d'ensemble,
signale une perte de sens.
III L'arabesque
1/ La digression
Très souvent le narrateur des nouvelles s'interrompt pour se lancer dans une
digression qui parfois en inclut encore d'autres. Comme l'écrit George Nivat,
" les êtres secondaires prolifèrent, brouillent les pistes et s'évanouissent
", " le monde second des digressions est premier chez Gogol ". La
prose de Gogol est ainsi rhapsodique au sens étymologique (rhapsodie = chant
recousu). Cf. également les analyses de Nabokov : " les personnages périphériques
sont engendrés par les clauses subordonnées de ses diverses métaphores,
comparaisons et explosions lyriques. Nous sommes en face de ce remarquable phénomène
: de simples formes de discours faisant naître des êtres vivants . "
(Nicolas Gogol, 1944)
La fin du " Manteau " concernant le factionnaire du quartier de Kolomna
propose un très bel exemple de cette dérive d'une prose qui devient autonome
; un autre exemple est bien sûr la nouvelle " Le Nez " qui est une
forme de synecdoque réalisée (cette nouvelle trouve d'ailleurs selon Nabokov
son origine dans les multiples expressions et proverbes russes qui mentionnent le
nez cf. la réponse de Péléguaia Grigorievna à la lettre qui lui
adresse Kovaliov)
2/ Le mélange des tons
Le ton si particulier des " Nouvelles de Pétersbourg " tient en grande
partie à l'oscillation incessante entre comique et pathétique, entre sublime
et trivial, entre réalisme et fantastique. En ce sens, la narration est grotesque
puisqu'elle combine des éléments dissonants. " Le Manteau " en
est peut-être le meilleur exemple : la présentation et le récit de
la naissance du personnage sont comiques, la " conversion " du jeune fonctionnaire
est en revanche pathétique ( " Je suis ton frère "), mais la
description des repas d'Akaki qui suit est de nouveau comique et ainsi de suite...
C'est aussi un jeu sur le contraste entre les styles (style bas d'un côté,
style élevé avec exclamations lyriques, effets de rythme etc. de l'autre).
On retrouve la même alternance dans " Le Journal d'un Fou ", en particulier
dans les délires du narrateur qui associent le comique (" la lune est habitée
par des nez " etc.) et le lyrisme pathétique, surtout dans l'envol final.
Ce mélange des tons produit un effet très particulier qui contribue à
l'étrangeté du recueil : le lecteur est sans cesse partagé; le narrateur
lui présente un univers manifestement détraqué mais lui-même
hésite manifestement entre une lamentation (dont l'expression la plus sérieuse
est peut-être l'angoisse du diable) et un sursaut comique et ironique... C'est
finalement la première tendance qui l'emportera chez Gogol.
Travaux préparatoires :
1. Relire Le Portrait.
2. -Déterminer la composition de la nouvelle.
-Quelles analogies repérez-vous entre les deux personnages principaux ?
3. En quoi peut-on dire que les destins de Piskariov, Tchartkov et Akaki Akakiévitch
sont parallèles ?
I Des destins parallèles
1/ Des noms-programmes
Le patronyme détermine très clairement le destin du personnage de Gogol
: étude des significations des noms des personnages (cf. en part. GF, p. 278)
2/ Comparaison des schémas narratifs
On peut assez aisément rapprocher les différents schémas
narratifs de chaque nouvelle selon le modèle suivant : quête / fausse
victoire / punition / seconde quête / résolution.
On peut distinguer deux types de dénouement : ou l'incident est clos et la vie
reprend son cours, ou le personnage sombre dans la folie et la mort.
II Des personnages marionnettes
1/ L'insignifiance
cf. toutes les occurrences du thème du " moins que rien " (Akaki comparé
à un moucheron, Popritchine qualifié de zéro par son chef de bureau
etc.) : comme tout le monde à Pétersbourg, le personnage est prisonnier
d'automatismes (cf. Akaki Akakiévitch, copiste incapable de transposer un texte
à la troisième personne) ; dès lors, l'irruption de l'imprévu
(achat du portrait, projet d'achat du manteau etc.) entraîne un bouleversement
auquel le protagoniste survit rarement.
2/ Désirs et frustrations
Tous les personnages sont au bas de l'échelle sociale, souvent humiliés
(Popritchine est raillé par les chiens, Akaki Akakiévitch par ses collègues,
Piskariov par la prostituée, Tchartkov est humilié par son propriétaire)
; leur situation empêche presque toujours la réalisation de leurs désirs
(érotiques, matériels, ascension sociale...) ; pourtant, les nouvelles
reprennent toutes le même schéma : un élément bouleverse le quotidien
répétitif du personnage et celui-ci sombre dans la monomanie ; tous souffrent
d'obsession et s'investissent intégralement dans la poursuite effrénée
d'un objet unique qu'ils croient obtenir (fausse victoire) et qu'ils finissent par
perdre (cf. motif du rêve et du réveil, expression particulière de
ce désir et de la frustration qui lui est invariablement associée); il
est rare que le personnage survive à la perte de ce qui brusquement était
devenu pour lui l'essentiel.
III La folie et la mort
Les différents dénouements proposent trois morts, un cas de folie, deux
retours à la médiocrité et une exception, la sainteté du père
du jeune peintre B.
1/ Des personnages aliénés
L'aliénation est presque toujours un élément de la situation initiale,
une donnée concernant le personnage (cf.L'Homme et la Société,
III).
On peut distinguer deux aspects de l'aliénation :
-la transformation de l'univers mental du protagoniste (ex : le " monde de lignes
" dans lequel évolue Akaki Akakiévitch, p. 33 ; les " cartons
remplis de paperasses " que les vieux conseillers titulaires " voient partout
" , Perspective Nevsky, p. 118) ; c'est l'isolement de consciences repliées
sur elles-mêmes qui est ici mis en évidence ; les protagonistes vivent
en autarcie dans un univers halluciné et coupé du monde.
-la privation de parole : de nombreux personnages sont incapables de produire un
discours cohérent (Akaki Akakiévitch, Popritchine incapable d'adresser
la parole à Sophie (p. 65) ou au père de celle-ci (p. 68 : " ma langue
ne veut absolument pas m'obéir "), Kovaliov perdant toute contenance devant
le nez etc.) ; ceci est à la fois le signe d'une incapacité à élaborer
une pensée articulée et d'une incapacité à s'extérioriser.
2/ Les formes de la folie
-la folie furieuse de Tchartkov et de tous ceux touchés par l'usurier dans Le
Portrait II (à quoi on peut peut-être associer la folie blasphématoire
d'Akaki Akakiévitch lors de son agonie) ; il s'agit dans ces différents
cas d'une forme de possession.
-la schizophrénie et le dédoublement de personnalité (Popritchine,
mais aussi Piskariov dont les journées sont vides et les nuits peuplées
de songes)
-l'angoisse très générale d'une dépossession, en particulier
tous les délires physiologiques des personnages (fixation fétichiste sur
le soulier, le manteau, les nez... ; thème récurrent du corps fragmenté
qui est à lire comme l'expression d'une angoisse inconsciente et qui impose
une lecture psychanalytique...)
3/ Le tragique
Le monde des Nouvelles de Pétersbourg est profondément désespéré
; les personnages paraissent jouets d'un destin inexorable, programmés par leur
nom et leur place dans la hiérarchie sociale. La fatalité a deux visages
dans le recueil :
-le grade : son pouvoir est quasi divin, la hiérarchie est toute puissante.
-le démon : le personnage est soumis aux arrêts d'une puissance diabolique
contre laquelle il ne peut rien.
Dans tous les cas, l'homme des Nouvelles de Pétersbourg n'a pas le droit de
désirer ; dans la tragédie antique, le personnage est puni car il a cédé
à la démesure de son désir ; dans le recueil, les personnages sont
des " petits hommes ", des " moins que rien " pour lesquels tout
désir, même le plus modeste, est démesuré et ils sont impitoyablement
châtiés par la folie ou la mort.