FICHE A6 |
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TEXTE DE ROUSSEAU
Nous naissons faibles, nous avons besoin de force; nous naissons dépourvus
de tout, nous avons besoin d'assistance; nous naissons stupides, nous avons besoin
de jugement. Tout ce que nous n'avons pas à notre naissance et dont nous avons
besoin étant grands, nous est donné par l'éducation.
Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement
interne de nos facultés et de nos organes est l'éducation de la nature;
I'usage qu'on nous apprend à faire de ce développement est l'éducation
des hommes; et l'acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous
affectionnent est l'éducation des choses.
Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple
dans lequel leurs diverses leçons se contrarient est mal élevé,
et ne sera jamais d'accord avec lui-même; celui dans lequel elles tombent toutes
sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son
but et vit conséquemment.
Or, de ces trois éducations différentes, celle de la nature ne dépend
point de nous; celle des choses n'en dépend qu'à certains égards.
Celle des hommes est la seule dont nous soyons vraiment les maîtres; encore
ne le sommes-nous que par supposition; car qui est-ce qui peut espérer de
diriger entièrement le discours et les actions de tous ceux qui environnent
un enfant ?
Sitôt donc que l'éducation est un art, il est presque impossible qu'elle
réussisse, puisque le concours nécessaire à son succès
ne dépend de personne. Tout ce qu'on peut faire à force de soins est
d'approcher plus ou moins du but, mais il faut du bonheur pour l'atteindre.
Quel est ce but ? C'est celui même de la nature; cela vient d'être prouvé.
Puisque le concours des trois éducations est nécessaire à leur
perfection, c'est sur celle à laquelle nous ne pouvons rien qu'il faut diriger
les deux autres. Mais peut-être ce mot de nature a-t-il un sens trop vague;
il faut tâcher ici de le fixer.
La nature, nous dit-on, n'est que l'habitude. Que signifie cela ? N'y a-t-il pas
des habitudes qu'on ne contracte que par force, et qui n'étouffent jamais
la nature ? Telle est, par exemple, I'habitude des plantes dont on gêne la
direction verticale. La plante mise en liberté garde l'inclinaison qu'on l'a
forcée à prendre; mais la sève n'a point changé pour
cela sa direction primitive; et, si la plante continue à végéter,
son prolongement redevient vertical. Il en est de même des inclinations des
hommes. Tant qu'on reste dans le même état, on peut garder celles qui
résultent de l'habitude, et qui nous sont le moins naturelles; mais, sitôt
que la situation change, I'habitude cesse et le naturel revient. L'éducation
n'est certainement qu'une habitude. Or, n'y a-t-il pas des gens qui oublient et perdent
leur éducation, d'autres qui la gardent ? D'où vient cette différence
? S'il faut borner le nom de nature aux habitudes conformes à la nature, on
peut s'épargner ce galimatias.
Nous naissons sensibles, et, dès notre naissance, nous sommes affectés
de diverses manières par les objets qui nous environnent. Sitôt que
nous avons pour ainsi dire la conscience de nos sensations, nous sommes disposés
à rechercher ou à fuir les objets qui les produisent d'abord, selon
qu'elles nous sont agréables ou déplaisantes, puis, selon la convenance
ou disconvenance que nous trouvons entre nous et ces objets, et enfin, selon les
jugements que nous en portons sur l'idée de bonheur ou de perfection que la
raison nous donne. Ces dispositions s'étendent et s'affermissent à
mesure que nous devenons plus sensibles et plus éclairés; mais, contraintes
par nos habitudes, elles s'altèrent plus ou moins par nos opinions. Avant
cette altération, elles sont ce que j'appelle en nous la nature.
J.-J. ROUSSEAU, Emile ou de l'Education, livre premier, 1762.
Lisez le texte et répondez aux questions suivantes.
Question1 :
Un mot en rapport direct avec le titre de l'úuvre de Rousseau apparaît fréquemment dans le texte. Relevez-le, et dites où il apparaît le plus souvent et pourquoi.
Question 2 :
Relevez, dans la deuxième phrase du dernier paragraphe, les différents
mots de liaison, et précisez comment s'organise l'argumentation de cette phrase.
Question 3 :
Le septième paragraphe comporte deux formes interro-négatives. Réécrivez-les
sous une autre forme sans en changer le sens.
Question 4 :
Une phrase du septième paragraphe reprend, à propos des hommes, I'image
de la plante tout en renforçant la position de Rousseau. Relevez-la et commentez-la
brièvement.
Question 5 :
Relevez, dans la liste suivante, le mot dont le sens vous semble le plus proche du
terme « bonheur » utilisé par Rousseau dans le cinquième
paragraphe : plaisir, joie, chance, satisfaction, réussite.
Question 6 :
Tout au long du septième paragraphe, le terme « nature » est opposé
à un autre terme. Dites lequel en justifiant votre réponse par un critère
pertinent.
Question 7 :
Relevez, dans-les phrases suivantes, celle qui correspond le plus précisément
à une affirmation de Rousseau: tout nous est donné par l'éducation;
I'important, ce sont les maîtres; nature, éducation et expérience
sont complémentaires; I'essentiel est que maîtres et élèves
soient d'accord; I'expérience et l'éducation des maîtres l'emportent
sur la nature.
Question 8 :
Parmi les mots ou expressions suivants, relevez celui ou celle qui, selon
vous, peut remplacer le plus justement possible la locution « sitôt...
que » au début du cinquième paragraphe: dès que, donc,
puisque, parce que, à partir du moment où, si.
Question 9 :
Reliez entre elles les six propositions indépendantes du premier paragraphe,
de manière à faire apparaître leurs liens logiques.
Question10 :
Reformulez en une phrase les idées essentielles des quatre premiers paragraphes.
Question11 :
Ce texte comporte des connecteurs d'opposition d'importance inégale. Relevez-les
puis classez-les logiquement en précisant quel critère vous avez choisi
pour opérer ce classement.
Question12 :
Quatre étapes successives du développement de notre personnalité
sont mises en lumière par Rousseau dans le dernier paragraphe du texte. Quelles
sont-elles, et quel lien logique les met en relation ?
Question13 :
Ce texte a été découpé de façon arbitraire par
l'auteur, et les paragraphes ne sont pas justifiés. Regroupez-les de façon
à faire apparaître l'argumentation, et donnez un titre à chaque
nouveau paragraphe.