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à M.Dubreuil,
professeur en khâgne
au Lycée Camille-Jullian
de Bordeaux en 1983-84


CHRONOLOGIE
PRESENTATION GENERALE

1) Chronologie
2)
Un passionné de linguistique
3)
Un incipit énigmatique





































1) Chronologie


- Queneau est né en 1903 et mort en 1976. Il a été un véritable encyclopédiste : mathématicien, logicien, linguisteÖ
- 21 février 1903 naissance de Raymond Auguste Queneau
- 1908 : premiers éblouissements littéraires : " Les Pieds Nickelés ". Voir Sartre qui dans Les Mots parle de la découverte des " vraies lectures " (= BD). Voir aussi cette influence de la BD dans Zazie dans le métro ou Pierrot mon ami.
- 1916 : enclenchement díun type de recherches chez Queneau : passion pour les sciences naturelles, les mathématiques, líécriture romanesque, les langues antiques (hébreu).
- 1920 : Obtient son baccalauréat en philosophie.
- 1924-1925 : se met à fréquenter les surréalistes. Se lie à Breton, Aragon, Desnos, VitracÖparticipe à des séances de jeux surréalistes :
ex : les dents, la bouche
= les dents la bouchent
= lait dans la bouche
ex : La vallée des mammouths
= líavalé des mammouths
= Laval aidait Mammouth
= Lave, allez, des mammouths
= Lave, ah, lady, ma moute.

- 1933 : Le Chiendent publié chez Gallimard est le premier roman célèbre de Queneau.
- 1933-1939 : période de psychanalyse
- 1937 : Chênes et chiens, roman et vers
- 1941 : Queneau est secrétaire général des éditions gallimard, il devient donc un professionnel de líédition
- 1942 : Pierrot mon ami
- 1947 : Exercice de style
- 1950 : Bâtons, chiffres et lettres
- 1952 : Si tu tíimaginesÖ = reprise de tous les recueils poétiques antérieurs
- 1956 : sur le thème sciences, lettres humanisme, Queneau participe au lancement de líEncyclopédie de La Pléiade.
- 1959 : Zazie dans le métro
- 1960 : OULIPO : ouvroir de Littérature potentielle
- 1965 : Les Fleurs Bleues
- 1966 : Analyse matricielle du langage
- 1967 : participe à un ouvrage intitulé Eléments de logiques mathématiques
- 1968 : Recueil de poèmes : Battre la campagne (voir cette expression dans les premières pages des Fleurs Bleues ó p.14)
- 1976 : " Je fais le geste de mourir " Queneau

La biographie ne reflète pas encore totalement líactivité débordante de Queneau : politique, journalisme, édition, jury littéraire, peinture, cinéma (a été président du festival de CannesÖ)
On ne peut pas aborder Queneau sans tenir compte de toutes ces rencontres fondamentales.
Queneau romancier est un être simple, naïf mais aussi compliqué, un érudit : à la fois philosophe et surréaliste, logicien et poète, pragmatique pseudo-naïf
Queneau est le produit díune infinité de cultures acquises avec obstination ce qui donne un effet original sur le climat des romans.
Dans la Revue Europe citée au début, líavant propos intitulé " Lire Queneau " dit ceci :
" Öune úuvre qui relève de la modernité au sens le plus plein du termeÖ "
" Öliens, quasi amoureux à la chair chaude des motsÖ "

Ces différents héritages font de lui un " fou des signes " :
- obsédé par líidée quíil faut techniciser toute réflexion sur le langage
- survivant à deux guerres mondiales, il est líhéritier naturel de la philosophie de líabsurde
- héritier également du mouvement surréaliste.



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2) Un passionné de linguistique


Intellectuel du XX°s líexpérience personnelle est marquée par des grands courants.

LíEmpire des signes :

Grande caractéristique de la fin du XIX° et du XX°s est la substitution díune pensée philosophique purement tournée vers líabstraction à une autre tradition : celle de líesprit de science et de technique. On assiste à une technicisation à outrance.
Queneau témoigne de cet empire des signes qui peu à peu structure, codifie et mathématise tous les codes de la pensée (*arithmétisation du monde de líintellect).
Voir le goût de Queneau pour les mathématiques, la logique qui se manifeste à travers sa passion de la science fiction et de la linguistique scientifique.

Queneau mène des recherches théoriques en tant que linguiste :
1966 : participe au séminaire de linguistique quantitative dont la communication sera intitulée : Analyse matricielle du langage. Il participe la même année à un deuxième colloque international de littérature expérimentale.
Líutilisation mathématique du langage en littérature donne lieu à des recherches importantes.

LíOULIPO naît sous líimpulsion de Queneau et de François Le Lyonnais Le titre Bâtons chiffres et lettres est en cela significatif. Bâtons fait référence au graphisme du signe, chiffres et lettres marie la littérature et les mathématiques.
Líobjectif de líOULIPO est " díaccroître les virtualités expressives des signes verbaux en littérature ".
Quíest-ce que la littérature potentielle ? Réponse à lire dans Bâtons chiffres et lettres p.321
OU
vroir : entend úuvrer
Littérature : il síagit avant tout de littérature
Potentielle :doit être pris dans différentes acceptions

But est selon Queneau " soutien de líinspiration " et " aide à la créativité ".
Il síagit de proposer aux écrivains des nouvelles structures de nature mathématique et díinventer de nouveaux procédés artificiels ou mécaniques contribuant à líactivité littéraire . LíOULIPO níest pas un mouvement ou une école littéraire, ce níest pas un séminaire artistique, ce níest pas une littérature aléatoire.
LíOULIPO fait des recherches naïves, artisanales, amusantes


Exemples de productions :
Le lipogramme = " líart díécrire en prose ou en vers, en síimposant la loi de retrancher une lettre de líalphabet " Queneau.
Bâtons chiffres et lettres p.325
Cf La Disparition de George Perec.

La pratique des poèmes à forme fixe :
Voir Bâtons chiffres et lettres p.334 et suivantes : " redondance chez Mallarmé "

Isomorphisme (p.339)

Il y a en Queneau un théoricien linguiste, un chercheur au sens moderne du terme. Le projet de Queneau pendant toute sa vie est de créer une nouvelle littérature grâce à de nouveaux matériaux. Le " troisième français, la langue réellement parlée ". Le premier français est le français écrit, le deuxième le français parlé.
Ecrit en 1937, Bâtons chiffres et lettres cherche à revoir le lexique, la syntaxe, líorthographe. Le danger à éviter est líargot. Queneau níest pas Hugo qui pensait que líargot était un langage qui pouvait amener à développer la littérature populaire. (relire dans Les Misérables le chapitre sur les Thenardier).
" Je ne vois aucune raison pour ne pas élever le langage populaire à la dignité de langage écrit et source díune nouvelle littérature, díune nouvelle poésie " .
Tous les romans de Queneau sont des exercices de style en vue de donner droit de cité littéraire à ce nouveau, ce troisième français. Il trouve indécent quíau XX°s qui bouleverse tous les domaines on ne fasse pas évoluer la langue, la littérature.
" Nous sommes à plaindreÖ "
Lire dans Bâtons chiffres et lettres les pages sur le Chinook : 57 à 59

Cíest la rénovation du langage qui peut être source díidées nouvelles et non líinverse.

Premier héritage de Queneau : mathématique et logique à travers la linguistique théorique et expérimentale que líon retrouve dans ses úuvres.

Deuxième héritage : Queneau est " le déprimé des apocalypses " - entre 1900 et 1940 période très dure pour les intellectuels épris de liberté, díégalitéÖLíélite intellectuelle est prête au reniement des valeurs, ce sera líABSURDE.

- montrer líillogisme inexplicable de la réalité
- scepticisme désabusé devient líimpuissance de la conscience rationaliste
- conscience de líécoulement destructeur du temps
- banalité et fatalité de la mort
- mal-être, difficulté díêtre qui pousse líhomme soit à se libérer par une action incessante (líengagement chez les existentialistes) soit à síenfermer dans une ataraxie totale.

Líécriture est présentée dans les Fleurs Bleues comme un exorcisme :
" Comment concilier líabsurde et la vie ? En vivant absurdement sans doute " Queneau reconnaît líabsurde et au lieu de vouloir en sortir il síy installe parce quíil sent quíil níy a pas díautre solution, il faut síen accommoder et non vouloir le transcender comme Camus ou Sartre par exemple. Ceci explique pourquoi Queneau imagine des histoires absurdes tout en montrant quíil níest pas dupe.

Troisième héritage :
Le surréalisme " André mon amiÖ "
En 1924, Queneau fréquente les surréalistes, séduit par leur entreprise de démystification, díexploration insolite. Pour Queneau, leur pratique subversive du jeu, de líhumour est un moyen de déjouer les pièges de líabsurde. Il y trouve une coïncidence entre sa volonté díagir sur le langage et de montrer la manifestation cocasse díun humour antidote à líoppression de líabsurde. Cet héritage surréaliste permet de comprendre le comportement de Queneau du début à la fin des Fleurs Bleues. Le jeu est principe de plaisir et prend sa revanche sur la réalité. Le jeu ne permet pas de prendre conscience du tragique de la vie.
Les surréalistes pratiquèrent de nombreux jeux sur le langage, jeux de mots (écriture automatique, cadavres exquisÖ.

Queneau, comme Prévert ont une poésie fondée sur líapparence cocasse díun langage désarticulé qui síexprime dans un certain nombre díeffets.

Le calembour " Sarrasins de Corinthe ", cíest-à-dire jeu de mots fondé sur une similitude de sons recouvrant une différence de sens. " Quelle fatalité = Quel fat alitéÖ "

La contre pétrie cíest une inversion de lettres ou de syllabes díun ensemble de mots spécialement choisis afin díen obtenir díautres dont líassemblage ait également un sens, de préférence burlesque ou grivois. Voir Rabelais " Une femme folle de la messe " (= une femme molle de la fesse "

Líhomophonie : jeu sur les sonorités : relire la première page des Fleurs Bleues

Justification du traitement que font subir les surréalistes au langage : il existe selon eux un lien mystérieux entre les mots et les choses. Le jeu de mots serait une forme dégradée díun langage magique capable de susciter des forces occultes.
Breton a vu en Brisset un précurseur du surréalisme dans sa Grammaire logique.
Sur un système díallitération et de coq à líâne il a prétendu fonder tout un traité de métaphysique intitulé " la science de Dieu ". Ce que Brisset appelait la grande loi ou la clef de la parole cíest que " toutes les idées énoncées avec des sons semblables ont une même origine et se rapportent toutes dans leur principe à un même objet. "

Líhumour enfin est pour Freud une méthode de défense du moi qui affirme díautant plus son identité et son invulnérabilité quíil est plus dangereusement menacé par les réalités extérieures.
Queneau : " Líhumour est une tentative pour décaper les grands sentiments de leur connerie. "


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3) Deux premières pages des Fleurs Bleues = caractéristiques de la passion du langage : les ravages de líanti-académisme.



La langue utilisée dans ceux premières pages essaie de prouver quíelle est capable de tout : pratique de la dislocation, de líacrobatie de la jonglerie verbale . Cette langue ne peut que provoquer des réactions très fortes chez le lecteur.
Pour Queneau, le langage ne doit jamais se fixer un code immuable. Cette langue cherche donc à mettre à feu et à sang les conventions académiques. Par souci de sarcasme et de caricature, la langue va montrer que le français classique, bourgeois est moribond, il ne peut être que contesté.
De là un culte de líexcès : le narrateur force la dose, níy va pas de main morte, on assiste à des jeux de mots qui sont des jeux de massacre.

Premier effet : utilisation agressive de la familiarité et de la vulgarité :
l.2 : " le Duc díAuge se pointa "
langue aristocratique langage vulgaire
p.14 : " Mouscaillot " (voir cours sur líonomastique dans Les Fleurs Bleues) fait penser à Mouscaille = merde

Deuxième effet : le pseudo raffinement du médiévalisme (on est en 1264) crée une fausse couleur locale, une sorte de pittoresque ; En fait ces mots font penser à un réalisme mais qui níest quíillusoire et sont en fait ridicules et anachroniques.

p.14 : intention de se rendre dans " la ville capitale " " en petit arroi " = expression récente en 1240 qui signifie équipage accompagnant un personnage.

Doit choisir un " palefroi " qui est a priori un signe verbal précis : cíest un cheval de cérémonie (síoppose au destrier qui est un cheval de bataille. Mais Queneau y ajoute un adjectif : " mélancolieux " qui a une résonance médiévale mais qui níexiste pas. Le climat níest en fait quíillusoirement réaliste.
En fait, dès le début du roman, Queneau prend un malin plaisir à mélanger des registres de langue diamétralement opposés : celui de la vulgarité voulue et celui du pédantisme affecté. Queneau linguiste mène une enquête permanente sur le langage et exploite toutes les potentialités du langage. Cíest cette gageure quíil a tenté de réaliser avec Exercice de style : dire la même chose de toutes les façons possibles (lire extraits).

Un autre travail intéressant sur le langage répond aux équations verbales des surréalistes. Ici il y a mise en équation díun verbe et de toute une série de compléments qui font écho à des expressions populaires, à des métaphores ou à des clichés :
" il ne battit point sa femme mais il battit ses fillesÖ.quelques fers (dans líexpression le mot doit être au singulier, le pluriel fait ici référence aux fers des chevaux ou aux fers à repasser) encore chaudsÖ.la campagneÖ.monnaieÖ..ses flancsÖ.. " (p.14)
Líalternance entre éléments linguistiques réels et expressions absurdes crée le jeu sur le langage.


Continuons líobservation de ces premières pages. Queneau se livre à une accumulation agressive des jeux de mots (plus subtils quíil níy paraît). Calembours créent líétonnement ou le rire, excite la curiosité du lecteurÖCette manipulation du langage est en fait loin díêtre innocente :

# " deux HunsÖdíeux un GauloisÖEduen " (p.13) : cíest un jeu homophonique de type surréaliste. Líeffet produit cíest líinsolite créé par líincompatibilité entre 1 et 2 : systématiquement reprise et assumée par líhomophonie.

# " Sarrasins de Corinthe " (p.13) : ne sont jamais venus de Corinthe mais on pense, par homophonie encore aux raisins de Corinthe.

# " Francs anciens " (p.13) : réforme monétaire Gauliste francs anciens légers, francs nouveaux lourds.
De plus ces francs qui cherchent des sols, sont en quête de nouvelles terres certes mais aussi cherchent à se définir en tant que monnaie après la réforme monétaire. Queneau introduit à nouveau plusieurs discours dans un même énoncé.

# " Alains Seuls " : car ils síennuient, pensent à la mort et síenferment dans un linceulÖà nouveau cette homophonieÖ

# " Huns préparaient stèques tartares " : allusion au beafsteak et à une réminiscence légendaire : Attila avait son steak sous sa selle. Rajout de líhumour avec steak tartare + francisation de la graphie : stèque.

# " le gaulois fumait une gitane " : (p.13) réminiscence de la SEITA Gitane / Gauloise
Polysémie du verbe fumer (une cigarette ou boucaner, griller) qui donne une vision cocasse et surréaliste et multiplie les combinaisons et les sens possibles.

# " les Romains dessinaient des grecques " : renvoie à 2 extrêmes :
les Romains copiant effectivement et historiquement les frises grecques ou ils dessinent un fantasme de Venus helleniqueÖ

# " Sarrazins fauchent avoine " : guerriers, peuplade arabe mais aussi blé noir, céréale (// teint bazané). Queneau nous laisse toute liberté díinventer une signification
faucher = couper à la faux mais aussi voler, dérober
avoine = céréale mais aussi líargent en argot
2 sens pour Sarrazin
2 sens pour faucher
2 sens pour avoine
On est encore en présence díune multitude de combinaisons signifiantes possibles.

# " Alains regardaient cinq Ossètes " : Les Ossètes était un peuple du Caucase, subdivisé en 4 groupes ethniques ;
Ce chiffre 5 peut être un effet burlesque et parodique des 3 Mousquetaires de Dumas qui étaient 4
5 Ossètes fait penser à líexpression en 5 sets ou encore de 5 à 7 pour les rendez-vous galantsÖ


Ces deux premières pages des Fleurs bleues, énigmatiques à plus díun titre place dès líincipit le roman dans une perspective absurde. Ce malaise de líabsurde se déduit de líinstabilité du langageÖvoir la séance 2 sur líHumour et líAbsurde.




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