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CHRONOLOGIE 1) Chronologie |
1) Chronologie
- Queneau est né en 1903 et mort en 1976. Il a été
un véritable encyclopédiste : mathématicien, logicien, linguisteÖ
- 21 février 1903 naissance de Raymond Auguste Queneau
- 1908 : premiers éblouissements littéraires : " Les Pieds Nickelés
". Voir Sartre qui dans Les Mots parle de la découverte des " vraies
lectures " (= BD). Voir aussi cette influence de la BD dans Zazie dans le métro
ou Pierrot mon ami.
- 1916 : enclenchement díun type de recherches chez Queneau : passion pour les sciences
naturelles, les mathématiques, líécriture romanesque, les langues antiques
(hébreu).
- 1920 : Obtient son baccalauréat en philosophie.
- 1924-1925 : se met à fréquenter les surréalistes. Se lie à
Breton, Aragon, Desnos, VitracÖparticipe à des séances de jeux surréalistes
:
ex : les dents, la bouche
= les dents la bouchent
= lait dans la bouche
ex : La vallée des mammouths
= líavalé des mammouths
= Laval aidait Mammouth
= Lave, allez, des mammouths
= Lave, ah, lady, ma moute.
- 1933 : Le Chiendent publié chez Gallimard est le premier roman célèbre
de Queneau.
- 1933-1939 : période de psychanalyse
- 1937 : Chênes et chiens, roman et vers
- 1941 : Queneau est secrétaire général des éditions gallimard,
il devient donc un professionnel de líédition
- 1942 : Pierrot mon ami
- 1947 : Exercice de style
- 1950 : Bâtons, chiffres et lettres
- 1952 : Si tu tíimaginesÖ = reprise de tous les recueils poétiques antérieurs
- 1956 : sur le thème sciences, lettres humanisme, Queneau participe au lancement
de líEncyclopédie de La Pléiade.
- 1959 : Zazie dans le métro
- 1960 : OULIPO : ouvroir de Littérature potentielle
- 1965 : Les Fleurs Bleues
- 1966 : Analyse matricielle du langage
- 1967 : participe à un ouvrage intitulé Eléments de logiques mathématiques
- 1968 : Recueil de poèmes : Battre la campagne (voir cette expression dans
les premières pages des Fleurs Bleues ó p.14)
- 1976 : " Je fais le geste de mourir " Queneau
La biographie ne reflète pas encore totalement líactivité débordante
de Queneau : politique, journalisme, édition, jury littéraire, peinture,
cinéma (a été président du festival de CannesÖ)
On ne peut pas aborder Queneau sans tenir compte de toutes ces rencontres fondamentales.
Queneau romancier est un être simple, naïf mais aussi compliqué, un
érudit : à la fois philosophe et surréaliste, logicien et poète,
pragmatique pseudo-naïf
Queneau est le produit díune infinité de cultures acquises avec obstination
ce qui donne un effet original sur le climat des romans.
Dans la Revue Europe citée au début, líavant propos intitulé "
Lire Queneau " dit ceci :
" Öune úuvre qui relève de la modernité au sens le plus plein du termeÖ
"
" Öliens, quasi amoureux à la chair chaude des motsÖ "
Ces différents héritages font de lui un " fou des signes " :
- obsédé par líidée quíil faut techniciser toute réflexion sur
le langage
- survivant à deux guerres mondiales, il est líhéritier naturel de la philosophie
de líabsurde
- héritier également du mouvement surréaliste.
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2) Un passionné de linguistique
Intellectuel du XX°s líexpérience personnelle
est marquée par des grands courants.
LíEmpire des signes :
Grande caractéristique de la fin du XIX° et du XX°s est la substitution
díune pensée philosophique purement tournée vers líabstraction à une
autre tradition : celle de líesprit de science et de technique. On assiste à
une technicisation à outrance.
Queneau témoigne de cet empire des signes qui peu à peu structure, codifie
et mathématise tous les codes de la pensée (*arithmétisation du monde
de líintellect).
Voir le goût de Queneau pour les mathématiques, la logique qui se manifeste
à travers sa passion de la science fiction et de la linguistique scientifique.
Queneau mène des recherches théoriques en tant que linguiste :
1966 : participe au séminaire de linguistique quantitative dont la communication
sera intitulée : Analyse matricielle du langage. Il participe la même année
à un deuxième colloque international de littérature expérimentale.
Líutilisation mathématique du langage en littérature donne lieu à
des recherches importantes.
LíOULIPO naît sous líimpulsion de Queneau et de François Le Lyonnais Le
titre Bâtons chiffres et lettres est en cela significatif. Bâtons fait
référence au graphisme du signe, chiffres et lettres marie la littérature
et les mathématiques.
Líobjectif de líOULIPO est " díaccroître les virtualités expressives
des signes verbaux en littérature ".
Quíest-ce que la littérature potentielle ? Réponse à lire dans Bâtons
chiffres et lettres p.321
OUvroir : entend úuvrer
Littérature : il síagit avant tout de littérature
Potentielle :doit être pris dans différentes acceptions
But est selon Queneau " soutien de líinspiration " et " aide à
la créativité ".
Il síagit de proposer aux écrivains des nouvelles structures de nature mathématique
et díinventer de nouveaux procédés artificiels ou mécaniques contribuant
à líactivité littéraire . LíOULIPO níest pas un mouvement ou une école
littéraire, ce níest pas un séminaire artistique, ce níest pas une littérature
aléatoire.
LíOULIPO fait des recherches naïves, artisanales, amusantes
Exemples de productions :
Le lipogramme = " líart díécrire en prose ou en vers, en síimposant
la loi de retrancher une lettre de líalphabet " Queneau.
Bâtons chiffres et lettres p.325
Cf La Disparition de George Perec.
La pratique des poèmes à forme fixe :
Voir Bâtons chiffres et lettres p.334 et suivantes : " redondance chez
Mallarmé "
Isomorphisme (p.339)
Il y a en Queneau un théoricien linguiste, un chercheur au sens moderne du terme.
Le projet de Queneau pendant toute sa vie est de créer une nouvelle littérature
grâce à de nouveaux matériaux. Le " troisième français,
la langue réellement parlée ". Le premier français est le français
écrit, le deuxième le français parlé.
Ecrit en 1937, Bâtons chiffres et lettres cherche à revoir le lexique,
la syntaxe, líorthographe. Le danger à éviter est líargot. Queneau níest
pas Hugo qui pensait que líargot était un langage qui pouvait amener à
développer la littérature populaire. (relire dans Les Misérables le
chapitre sur les Thenardier).
" Je ne vois aucune raison pour ne pas élever le langage populaire à
la dignité de langage écrit et source díune nouvelle littérature,
díune nouvelle poésie " .
Tous les romans de Queneau sont des exercices de style en vue de donner droit de
cité littéraire à ce nouveau, ce troisième français. Il
trouve indécent quíau XX°s qui bouleverse tous les domaines on ne fasse
pas évoluer la langue, la littérature.
" Nous sommes à plaindreÖ "
Lire dans Bâtons chiffres et lettres les pages sur le Chinook : 57 à 59
Cíest la rénovation du langage qui peut être source díidées nouvelles
et non líinverse.
Premier héritage de Queneau : mathématique et logique à travers
la linguistique théorique et expérimentale que líon retrouve dans ses úuvres.
Deuxième héritage : Queneau est " le déprimé des
apocalypses " - entre 1900 et 1940 période très dure pour les intellectuels
épris de liberté, díégalitéÖLíélite intellectuelle est prête
au reniement des valeurs, ce sera líABSURDE.
- montrer líillogisme inexplicable de la réalité
- scepticisme désabusé devient líimpuissance de la conscience rationaliste
- conscience de líécoulement destructeur du temps
- banalité et fatalité de la mort
- mal-être, difficulté díêtre qui pousse líhomme soit à se libérer
par une action incessante (líengagement chez les existentialistes) soit à síenfermer
dans une ataraxie totale.
Líécriture est présentée dans les Fleurs Bleues comme un exorcisme
:
" Comment concilier líabsurde et la vie ? En vivant absurdement sans doute "
Queneau reconnaît líabsurde et au lieu de vouloir en sortir il síy installe
parce quíil sent quíil níy a pas díautre solution, il faut síen accommoder et non
vouloir le transcender comme Camus ou Sartre par exemple. Ceci explique pourquoi
Queneau imagine des histoires absurdes tout en montrant quíil níest pas dupe.
Troisième héritage :
Le surréalisme " André mon amiÖ "
En 1924, Queneau fréquente les surréalistes, séduit par leur entreprise
de démystification, díexploration insolite. Pour Queneau, leur pratique subversive
du jeu, de líhumour est un moyen de déjouer les pièges de líabsurde. Il
y trouve une coïncidence entre sa volonté díagir sur le langage et de montrer
la manifestation cocasse díun humour antidote à líoppression de líabsurde. Cet
héritage surréaliste permet de comprendre le comportement de Queneau du
début à la fin des Fleurs Bleues. Le jeu est principe de plaisir et prend
sa revanche sur la réalité. Le jeu ne permet pas de prendre conscience
du tragique de la vie.
Les surréalistes pratiquèrent de nombreux jeux sur le langage, jeux de
mots (écriture automatique, cadavres exquisÖ.
Queneau, comme Prévert ont une poésie fondée sur líapparence cocasse
díun langage désarticulé qui síexprime dans un certain nombre díeffets.
Le calembour " Sarrasins de Corinthe ", cíest-à-dire jeu de mots fondé
sur une similitude de sons recouvrant une différence de sens. " Quelle
fatalité = Quel fat alitéÖ "
La contre pétrie cíest une inversion de lettres ou de syllabes díun ensemble
de mots spécialement choisis afin díen obtenir díautres dont líassemblage ait
également un sens, de préférence burlesque ou grivois. Voir Rabelais
" Une femme folle de la messe " (= une femme molle de la fesse "
Líhomophonie : jeu sur les sonorités : relire la première page des Fleurs
Bleues
Justification du traitement que font subir les surréalistes au langage : il
existe selon eux un lien mystérieux entre les mots et les choses. Le jeu de
mots serait une forme dégradée díun langage magique capable de susciter
des forces occultes.
Breton a vu en Brisset un précurseur du surréalisme dans sa Grammaire logique.
Sur un système díallitération et de coq à líâne il a prétendu
fonder tout un traité de métaphysique intitulé " la science de
Dieu ". Ce que Brisset appelait la grande loi ou la clef de la parole cíest
que " toutes les idées énoncées avec des sons semblables ont
une même origine et se rapportent toutes dans leur principe à un même
objet. "
Líhumour enfin est pour Freud une méthode de défense du moi qui affirme
díautant plus son identité et son invulnérabilité quíil est plus dangereusement
menacé par les réalités extérieures.
Queneau : " Líhumour est une tentative pour décaper les grands sentiments
de leur connerie. "
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3) Deux premières pages des
Fleurs Bleues = caractéristiques de la passion du langage : les ravages de líanti-académisme.
La langue utilisée dans ceux premières pages
essaie de prouver quíelle est capable de tout : pratique de la dislocation, de líacrobatie
de la jonglerie verbale . Cette langue ne peut que provoquer des réactions très
fortes chez le lecteur.
Pour Queneau, le langage ne doit jamais se fixer un code immuable. Cette langue cherche
donc à mettre à feu et à sang les conventions académiques. Par
souci de sarcasme et de caricature, la langue va montrer que le français classique,
bourgeois est moribond, il ne peut être que contesté.
De là un culte de líexcès : le narrateur force la dose, níy va pas de main
morte, on assiste à des jeux de mots qui sont des jeux de massacre.
Premier effet : utilisation agressive de la familiarité et de la vulgarité
:
l.2 : " le Duc díAuge se pointa "
langue aristocratique langage vulgaire
p.14 : " Mouscaillot " (voir cours sur líonomastique dans Les Fleurs Bleues)
fait penser à Mouscaille = merde
Deuxième effet : le pseudo raffinement du médiévalisme (on est en
1264) crée une fausse couleur locale, une sorte de pittoresque ; En fait ces
mots font penser à un réalisme mais qui níest quíillusoire et sont en fait
ridicules et anachroniques.
p.14 : intention de se rendre dans " la ville capitale " " en petit
arroi " = expression récente en 1240 qui signifie équipage accompagnant
un personnage.
Doit choisir un " palefroi " qui est a priori un signe verbal précis
: cíest un cheval de cérémonie (síoppose au destrier qui est un cheval
de bataille. Mais Queneau y ajoute un adjectif : " mélancolieux "
qui a une résonance médiévale mais qui níexiste pas. Le climat níest
en fait quíillusoirement réaliste.
En fait, dès le début du roman, Queneau prend un malin plaisir à mélanger
des registres de langue diamétralement opposés : celui de la vulgarité
voulue et celui du pédantisme affecté. Queneau linguiste mène une
enquête permanente sur le langage et exploite toutes les potentialités
du langage. Cíest cette gageure quíil a tenté de réaliser avec Exercice
de style : dire la même chose de toutes les façons possibles (lire extraits).
Un autre travail intéressant sur le langage répond aux équations verbales
des surréalistes. Ici il y a mise en équation díun verbe et de toute une
série de compléments qui font écho à des expressions populaires,
à des métaphores ou à des clichés :
" il ne battit point sa femme mais il battit ses fillesÖ.quelques fers (dans
líexpression le mot doit être au singulier, le pluriel fait ici référence
aux fers des chevaux ou aux fers à repasser) encore chaudsÖ.la campagneÖ.monnaieÖ..ses
flancsÖ.. " (p.14)
Líalternance entre éléments linguistiques réels et expressions absurdes
crée le jeu sur le langage.
Continuons líobservation de ces premières pages. Queneau se livre à une
accumulation agressive des jeux de mots (plus subtils quíil níy paraît). Calembours
créent líétonnement ou le rire, excite la curiosité du lecteurÖCette
manipulation du langage est en fait loin díêtre innocente :
# " deux HunsÖdíeux un GauloisÖEduen " (p.13) : cíest un jeu homophonique
de type surréaliste. Líeffet produit cíest líinsolite créé par líincompatibilité
entre 1 et 2 : systématiquement reprise et assumée par líhomophonie.
# " Sarrasins de Corinthe " (p.13) : ne sont jamais venus de Corinthe
mais on pense, par homophonie encore aux raisins de Corinthe.
# " Francs anciens " (p.13) : réforme monétaire Gauliste
francs anciens légers, francs nouveaux lourds.
De plus ces francs qui cherchent des sols, sont en quête de nouvelles terres
certes mais aussi cherchent à se définir en tant que monnaie après
la réforme monétaire. Queneau introduit à nouveau plusieurs discours
dans un même énoncé.
# " Alains Seuls " : car ils síennuient, pensent à la mort
et síenferment dans un linceulÖà nouveau cette homophonieÖ
# " Huns préparaient stèques tartares " : allusion au
beafsteak et à une réminiscence légendaire : Attila avait son steak
sous sa selle. Rajout de líhumour avec steak tartare + francisation de la graphie
: stèque.
# " le gaulois fumait une gitane " : (p.13) réminiscence de
la SEITA Gitane / Gauloise
Polysémie du verbe fumer (une cigarette ou boucaner, griller) qui donne une
vision cocasse et surréaliste et multiplie les combinaisons et les sens possibles.
# " les Romains dessinaient des grecques " : renvoie à 2 extrêmes
:
les Romains copiant effectivement et historiquement les frises grecques ou ils dessinent
un fantasme de Venus helleniqueÖ
# " Sarrazins fauchent avoine " : guerriers, peuplade arabe mais
aussi blé noir, céréale (// teint bazané). Queneau nous laisse
toute liberté díinventer une signification
faucher = couper à la faux mais aussi voler, dérober
avoine = céréale mais aussi líargent en argot
2 sens pour Sarrazin
2 sens pour faucher
2 sens pour avoine
On est encore en présence díune multitude de combinaisons signifiantes possibles.
# " Alains regardaient cinq Ossètes " : Les Ossètes était
un peuple du Caucase, subdivisé en 4 groupes ethniques ;
Ce chiffre 5 peut être un effet burlesque et parodique des 3 Mousquetaires de
Dumas qui étaient 4
5 Ossètes fait penser à líexpression en 5 sets ou encore de 5 à 7
pour les rendez-vous galantsÖ
Ces deux premières pages des Fleurs bleues, énigmatiques à plus díun
titre place dès líincipit le roman dans une perspective absurde. Ce malaise
de líabsurde se déduit de líinstabilité du langageÖvoir la séance
2 sur líHumour et líAbsurde.
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