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Sélection de cinq axes de lecture
 

 


Il est d'usage pour l'épreuve de Lettres de Terminale de construire le cours selon un parcours de lecture envisageant successivement les aspects essentiels de l'oeuvre au programme et utilisant le texte comme une illustration. Cette approche présente cependant dans le cas d'"Ethiopiques" deux défauts majeurs:

- elle suppose que les élèves "entrent" d'eux-mêmes dans l'oeuvre et viennent au cours en l'ayant déjà lue et comprise; or les textes d'"Ethiopiques" sont d'une difficulté telle qu'il est tout à fait improbable qu'ils parviennent d'eux-mêmes, par une lecture naïve, à en saisir l'intérêt et les enjeux.

- elle ne peut éviter que les différents thèmes, les différentes "questions de cours" se chevauchent: un cours sur les personnages du "Chevalier de la Charrette" empiète toujours sur un cours sur la chevalerie... Dans le cas d'"Ethiopiques", ce problème est accru car le recueil développe une esthétique de la superposition de sorte que célébrer l'Afrique, c'est toujours célébrer en même temps une amante, un paysage, une mère, une histoire... Une approche thématique (la femme dans le recueil, l'Afrique dans le recueil etc.) sépare donc artificiellement ces motifs et néglige ce choix de la superposition.

Pour cette raison, la progression didactique que nous vous proposons refuse ce type d'approche et tâche de considérer le texte non comme une illustration mais comme un point de départ.
Cela dit, il sera sans doute utile de présenter aux élèves, non des cours, mais au moins de brèves synthèses reprenant les données essentielles associées à chaque thème; c'est pourquoi nous vous proposons une série de courtes fiches correspondant chacune à un axe de lecture possible. Aux élèves ensuite d'utiliser celles-ci non comme des développements "prédigérés", mais comme des intruments permettant de se repérer dans l'oeuvre...

NB: le découpage choisi est nécessairement artificiel et peut subir toutes les modifications possibles... Ces fiches sont délibérément succinctes et allusives; leur but n'est pas de fournir des informations; on se reportera pour cela à la
progression didactique.



Afrique

Le Dialogue des cultures

La Femme et l'Amour

La Poétique et ses Formes

Le Rythme











Afrique


L'Afrique est omniprésente dans le recueil de Senghor; elle est à la fois une géographie, le lieu d'une histoire personnelle et politique et une terre rêvée, un univers de symboles et de mythes.

1/ L'Afrique comme source de références

-le bestiaire (lion, buffle, lamantin...)
-la géographie (le tann, le marigot, la Mésopotamie qui, chez Senghor, désigne, selon l'étymologie, la terre entre les fleuves, c'est-à-dire la portion du territoire sénégalais entre le fleuve du Sine et celui du Saloum (cf. carte)...)
-les figures emblématiques (les figures royales, le griot, le tam-tam...)
2/ Les mythes africains

-le "Royaume d'enfance": les terres de Joal où Senghor passa son enfance avec son oncle berger, élevées par l'écrivain au rang de mythe personnel symbolisant l'Afrique primordiale et heureuse.
-la Reine de Saba: figure mythique, amante de Salomon dont elle aurait eu un fils, Ménélik , fondateur de la première dynastie éthiopienne.
-Chaka: chef zoulou historique, transformé par Senghor en personnage légendaire, il devient une incarnation de la résistance à la domination coloniale.
-L'Ethiopie: berceau de toutes les civilisations africaines (égyptienne compris), et même selon certaines thèses, de la civilisation hellène.

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Le Dialogue des cultures

Africain exilé à Paris dès 1928, Senghor est nourri de deux cultures et son oeuvre entière est placée sous le signe du métissage.

1/ La négritude

-historique: concept élaboré dans les années 30 avec Aimé Césaire; la négritude chez Senghor n'est pas aussi "agressive", aussi "revendicatrice" que chez Césaire, elle est inséparable de la notion de métissage.
-définition: la négritude est "un concept à deux faces, objective et subjective: une culture et un comportement. C'est d'abord l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir (...), c'est aussi pour chaque nègre la manière de vivre ces valeurs" (conférence à Abidjan, décembre 1977). La négritude est avant tout un rapport au monde fondé sur la sympathie, la participation sensible au cosmos.

2/ La confrontation

-des lieux emblématiques: Paris ("Epîtres à la Princesse"), New-York ("A New-York") d'une part; le fleuve Congo, l'Ethiopie, le Royaume d'enfance d'autre part.
-des rapports au monde différents: la raison discursive et un rapport instrumental à la Nature d'une part (cf. "Chaka" p. 122, "Epîtres..." p. 142); une harmonie sensible avec le cosmos réalisée dans le rythme (du tam-tam, des travaux agricoles, des saisons) d'autre part.

3/Le métissage

a/ Une écriture métisse
-dans sa forme: langue française subvertie par l'oralité et le rythme africains.
-dans son référentiel: références et mythes africains, références et mythes bibliques (genèse, reine de Saba, psaume "Laetare Jerusalem"), références à l'antiquité gréco-romaine (le choeur et le coryphée de "Chaka"), allusions à la mythologie viking (Lanza le Troubadour, p. 141).

b/ L'idéal du métissage: la "civilisation de l'universel" (titre du recueil d'articles "Liberté III")
cf. "A New-York", partie III (p. 117); cf. cinquième épître à la princesse (p. 143-144)
différents thèmes associés en particulier celui de l'arc-en-ciel.

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La Femme et l'Amour

De nombreux poèmes d' "Ethiopiques" sont adressés à une femme et même si celle-ci n'est pas la destinataire, comme dans "Chaka", elle reste cependant toujours une figure centrale du recueil.


1/ L'Absente

La femme dans le recueil est avant tout "l'Etrangère" ("Kaya-Magan", p. 105) et est donc souvent lointaine, elle est celle qui manque au poète ("L'Absente", "Epîtres à la Princesse", "D'autres Chants"). En cela, "Ethiopiques" se conforme à la tradition du lyrisme amoureux: la femme aimée est absente et elle est la destinataire du poème.

2/ L'amante

-poésie et sensualité: la célébration de l'Afrique est inséparable d'un épanouissement sensuel (fréquents doubles sens érotiques: "Congo" p. 101, "Kaya-Magan" p. 105, "Chaka" p. 132)
-le renouvellement de la technique du blason, fondé sur des métaphores en cascade (pp. 102, 105, 114, 121, 139)


3/ La fusion



La femme est surtout une figure fusionnelle: l'Afrique est systématiquement féminisée, à la fois amante et mère ; la femme est elle-même toujours un paysage... jeu sur la perte du comparant et du comparé ("Congo" p. 102).

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La Poétique et ses Formes

Senghor est profondément convaincu des "pouvoirs du verbe" (postface, p. 158) mais pour cela la langue doit être l'objet d'une véritable transformation qui "transmue le cuivre en or".

1/ L'énonciation


-les différentes figures du "je", en particulier celui qui nomme (cf. séance 1 de la progression)
-des situations d'énonciation complexes :
ex: "Mort de la Princesse", p. 145, annonce d'un message de tam-tam, message du tam-tam encadrant le message de la princesse, message de la princesse entre guillemets -ses derniers mots avant sa mort-, conclusion du tam-tam (message encadrant), réponse du poète
ex: "Messages", p. 106, le nom Beleup de Kaymôr, au troisième verset, n'est pas une apostrophe, mais l'identité de l'envoyeur annoncée par le messager

2/ Le verset


-le rythme: problème du découpage prosodique; très souvent, le verset chez Senghor est binaire et s'organise selon deux grandes masses; il est important de repérer les variations par rapport à ce schéma fondamental (intrusions d'un rythme ternaire, effets de "syncope" comme les appelle Senghor)
-la musique (cf. postface, p. 167-168): les indications instrumentales qu'on trouve sous les titres des poèmes sont sommaires et ne proposent pas de mélodie; elles doivent être comprises non de façon littérale mais comme des indications génériques qui renseignent le lecteur sur la tonalité des poèmes (le khalam est l'instrument de l'élégie, la kora celui de l'ode, le tabala celui de l'épopée etc.)
-l'oralité (paradoxalement , elle garantit chez Senghor la perpétuation alors que "l'encre du scribe est sans mémoire" (p. 101)): importance des répétitions, des apostrophes; notion de "verset émotif"; idée d'un perpétuel remodelage de l'écriture dans l'oralité; volonté de revivifier la langue

3/ Les images


Importance fondamentale de la métaphore (et de ses dérivés, métonymies et synecdoques), figure pivot de la poétique de Senghor; techniques de superposition (perte du comparant et du comparé), glissements d'un référent à un autre (ex: "Bec inutile..." p. 151).

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Le Rythme

C'est une catégorie essentielle: dans les poèmes eux-mêmes, le rythme est chanté et exalté: c'est, selon le poète, ce qui fait la singularité de la poèsie de la négritude.



1/ Une notion polysémique

La notion de rythme, chez Senghor, une acception très large; on peut repérer quatre ensembles de sens:
-le rythme est ce qui définit l'être-au-monde de l'homme noir (cf. postface, p. 161): le nègre a "un sens charnel du rythme" qui le constitue comme une espèce particulière du genre humain.
-le rythme est le caractère essentiel de la civilisation négro-africaine (repérable dans la production artistique comme dans la vie quotidienne); c'est le signe d'une participation quasi magique de l'homme au cosmos (cf. postface p. 166, p. 168).
-le rythme est la mémoire presque physiologique du peuple noir; c'est ce qui a maintenu le souvenir de la civilisation africaine livrée "aux contradictions du métissage et du capitalisme" ; le rythme est ainsi l'instrument d'une affirmation identitaire (cf. p. 165).
-le rythme est, enfin, la marque distinctive du poème, "ce qui transmue la parole en verbe" (p. 161); c'est aussi l'élément le plus visible de l'oralité.
2/ Le rythme du poème

Selon Senghor, il existe une opposition fondamentale entre:
-un rythme caractéristique de la civilisation occidentale, hérité des Grecs, fondé essentiellement sur la symétrie.
-un rythme négro-africain fondé sur la répétition avec variation, ce qu'il appelle la "syncope", ou le "parallélisme asymétrique": il s'agit de s'appuyer sur des décalages créateurs de dynamisme, un jeu d'attentes parfois satisfaites, parfois déçues (cf. "Dialogue sur la poésie francophone", p. 395). A plusieurs reprises, Senghor parle d'un "swing" caractéristique des oeuvres négro-africaines.
Ces considérations s'appliquent au verset qui, très souvent, est binaire dans "Ethiopiques", construit autour de deux grandes masses équilibrées. Le premier verset du poème détermine ainsi le patron rythmique pour l'ensemble du texte, et c'est par rapport à ce patron que se définissent les effets de "syncope"; tout ensemble ternaire crée ainsi une forte rupture et dynamise le texte.
ex: "Kaya-Magan": "Car je suis les deux battants de la porte / rythme binaire de l'espace /et le troisième temps"

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