Cours d'introduction, présentation générale de l'oeuvre








CARMEN




Introduction

Une passion froide

G.Bizet

L'oeuvre et son destin

Un mythe ?

Remarques

Mérimée au moment de la rédaction

Explications de Mérimée

Personnages














Contemporain des grands romantiques français, Mérimée nía eu de cesse de se distinguer díeux. Sans doute líinfluence de Stendhal, de vingt ans son aîné et son meilleur ami, a-t-elle joué en faveur díun scepticisme, díune désinvolture, qui níétaient pas dans le ton de líépoque et les rattachaient tous deux au XVIIIe siècle rationaliste. Mérimée portait une bague avec cette devise : « Souviens-toi de te méfier. »Ennemi de toute sensiblerie, Mérimée reste cependant romantique par le choix des sujets de son théâtre, de ses nouvelles et de son unique roman, Chronique du règne de Charles IX. Écrivain précoce, il ne sera pas quíun homme de lettres. Il consacre la plus grande partie de sa vie à la sauvegarde et à la restauration des chefs-díúuvre de líart gothique et même roman. Cette activité, à laquelle síajoutera, sous Napoléon III, une vie díhomme de cour, ne líempêche pas de donner, à quarante-quatre ans, son chef-díúuvre, Carmen , suivi díautres nouvelles, dont líadmirable Lokis , récit qui prouverait assez que Mérimée appartient au romantisme et à ses ombres.Un libéral conservateur. Comme les autres romantiques, Mérimée, né à Paris, a grandi, síest formé sous la Restauration avec la nostalgie de la Révolution et de Napoléon. Son père, bonapartiste, était un peintre néo-classique devenu secrétaire de líÉcole des beaux-arts. Milieu tout à la fois artiste et fonctionnaire que Prosper Mérimée, au fond, ne trahira pas.Síil fait sérieusement ses études de droit, il pense, comme les jeunes gens les plus doués de la génération de 1820, que la seule carrière qui lui soit ouverte est celle des lettres. Il a rencontré Stendhal, rentré díItalie, en 1822. Il le retrouve, en même temps que Delacroix, dans les salons libéraux-bonapartistes (où líon síexclamait « sur la bêtise des Bourbons »), et surtout dans le « grenier » de E. Delécluze, peintre raté et critique díart (1781-1863), où, en 1825, à vingt-deux ans, Mérimée lit trois pièces de théâtre : Les Espagnols en Danemark , Le Ciel et líenfer et Une femme est un diable , écrites sous líinfluence des comedias du Siècle díor espagnol.Cíest peut-être de Stendhal quíil tient le goût des pseudonymes et des mystifications puisque, lorsquíil publie ces pièces et celles qui suivent, il les attribue à une femme de lettres espagnole imaginaire, Clara Gazul ó ce qui, par ailleurs, lui évite des ennuis avec la censure. Ce Théâtre de Clara Gazul est vraiment excellent. Toutes ces pièces, insolentes, rapides, intelligentes, sont trop peu jouées ó à líexception du Carrosse du Saint-Sacrement (écrit en 1828 et joué pour la première fois en 1850). Líune díelles, La Jacquerie ó sur les révoltes de paysans au Moyen Âge ó, témoigne même díune ambition dramaturgique plus grande que celle de ses contemporains.Mérimée a vingt-sept ans quand il publie son premier et unique roman, cette Chronique du règne de Charles IX , roman de cape et díépée, mais dont les intentions idéologiques ne sont pas absentes. En situant sa « chronique » au temps des guerres de religion, Mérimée donne une leçon de tolérance, de liberté, en même temps que de libertinage : les discussions théologiques ont lieu dans les alcôves.Au même moment, ses premières nouvelles, réunies plus tard sous le titre de Mosaïque (1833), témoignent díune diversité díinspiration et díune précision dans líexpression qui font de Mérimée le véritable classique du romantisme. Mateo Falcone , histoire corse, Tamango , aventure díun esclave noir, La Vision de Charles XI , première approche du surnaturel à travers líaventure díun roi de Suède, et les autres nouvelles du recueil précèdent de peu ce petit chef-díúuvre, La Double Méprise (1833), où Mérimée fait preuve de tant de virtuosité quíil semble vouloir mettre dans sa poche à la fois Stendhal, Balzac et le Musset des Comédies et proverbes. Sa nomination au poste nouvellement créé díinspecteur général des monuments historiques, en 1834, due à Guizot et à Thiers mais surtout à líintérêt du romantisme pour líhistoire et le gothique, va orienter Mérimée vers une nouvelle et fructueuse carrière. Pendant trente ans, il va inlassablement parcourir la France, décrivant dans de longs rapports líétat désastreux des plus belles cathédrales et abbayes. Mérimée entraînera dans son sillage un jeune architecte érudit, Viollet-le-Duc. On sait ce quíil advint, pour le meilleur et pour le pire, de cette rencontre.Mérimée voyage aussi hors de France. De tous les pays quíil visitera ó Italie, Grèce, Proche-Orient, Angleterre ó, cíest líEspagne qui le marquera le plus. Cíest là quíaprès 1830 il a rencontré, à la sortie de la cigarería de Séville, la jeune Carmen ou sa súur gitane. Cíest à Madrid quíil a rencontré une famille díafrancesados ó des libéraux, ex-partisans de Napoléon ó, les Montijo, dont líune des filles, alors âgée de huit ans, deviendra, vingt-trois ans plus tard, líimpératrice des Français et fera de Mérimée son principal confident et líun des personnages officieux du second Empire.


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Une passion froide

En 1841, deux ans après un voyage en Corse, Mérimée publie Colomba , que líon pourrait rapprocher díune des Chroniques italiennes de Stendhal, si, là encore, il ne donnait la preuve díune maîtrise qui se fera invisible dans Carmen , son récit à juste titre le plus célèbre, écrit, au dire de líauteur, en huit jours et publié en 1847. Récit dans le récit, Carmen , dès quíon cesse díinterposer líimage du bel opéra de Bizet, frappe par la modernité de la composition, par la froideur du ton qui contraste, en de surprenants effets, avec la violence du propos. Cíest, avec Manon Lescaut et Les Hauts de Hurlevent , une des histoires díamour les plus cruelles de líhistoire de la littérature.Comme Mérimée est líhomme de tous les paradoxes, on níaura garde díoublier que cet hyper-Français, qui accumule en lui les qualités et les défauts de la race, a été líintroducteur en France de la littérature russe en ses commencements : Pouchkine et Tourgueniev. Et, de même que cet athée a été le grand sauveteur des églises de France, ce rationaliste, disciple díHelvétius, a été fasciné par les légendes surnaturelles. Deux de ses nouvelles au moins, La Vénus díIlle (1837) et surtout Lokis (1869), doivent figurer dans toutes les anthologies, imaginaires ou non, de la littérature fantastique. Ces deux beaux récits prouveraient assez que cíest de la logique et du réalisme le plus précis que peut naître líépouvante.Est-il besoin de dire que ce célibataire endurci, cynique et volontiers obscène dans ses propos comme dans sa Correspondance ó un autre de ses chefs-díúuvre ó a été un grand amoureux ? Dans sa jeunesse, il se battait avec les maris outragés. Mais il savait, à líoccasion, les défendre. En 1852, il a été condamné à quinze jours de prison pour avoir « diffamé » la justice qui venait de síen prendre à líun de ces maris, un « libéral ». Le ministère auquel Mérimée appartenait alors lui avait accordé quinze jours de congé pour quíil pût purger sa peine sans avoir díennuis avec líadministration.La défaite de 1870 mit fin à ses jours encore plus que líasthme dont il souffrait depuis longtemps. Il mourut à Cannes en ayant le temps de dire que les Français étaient des imbéciles, mais quíil ne pouvait síempêcher de les aimer.

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Georges Bizet (1838 - 1875)
(...)

Après une autre tentative dans le domaine lyrique (Don Rodrigue , 1873, resté inachevé) et une page de circonstance, líouverture Patrie (1873), Bizet consacre toutes ses forces à la composition de Carmen , sur un livret de Meilhac et Halévy díaprès la nouvelle de Prosper Mérimée (1873-1874). Líouvrage est mal accueilli à líOpéra-Comique, où la critique juge líintrigue indécente et vulgaire. Il est vrai que líouvrage avait de quoi surprendre, tant il síécarte des conventions de líépoque avec cette antithèse díhéroïne et cette fin tragique. Mais la véritable nouveauté de Carmen réside surtout dans la vérité des personnages, líexpression de leurs sentiments, le sens de la couleur et du mouvement.Les circonstances de la mort de Bizet, à Bougival, le 3 juin 1875, restent obscures : quelques semaines après la création de Carmen , dans la nuit de la trente-troisième représentation, il succombait à une crise cardiaque. Saint-Saëns est à líorigine de la légende selon laquelle Bizet se serait laissé mourir, croyant à líéchec de Carmen . Mais cíest faire abstraction díune santé délicate (fragilité de la gorge et rhumatismes aigus) et de líattitude du public, qui était plus ouvert que la critique.

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Líúuvre et son destin

Après sa mort, il y eut encore trois représentations de Carmen à Paris, et cíest de líOpéra de Vienne, où Brahms vint le voir et líentendre vingt fois de suite, que le chef-díúuvre reprit plus tard son vol. Cíest à Vienne également que Wagner le connut et líadmira sans réserve, ne se doutant pas que Nietzsche en ferait un jour une machine de guerre contre lui.Quelques-unes des appréciations du philosophe sur la musique de Bizet sont à retenir pour leur justesse et leur pénétration. Il parle de « son allure légère, souple, polie ». Il síenchante de ce quíelle ne procède pas ó comme celle de Wagner ó par répétition, de ce quíelle fait confiance à líauditeur en « le supposant intelligent ».Lorsque Nietzsche écrit : « Líorchestration de Bizet est la seule que je supporte encore », il pense évidemment à sa luminosité, à son absence díenflure. Chaque élément sonore y est dur, concentré dans sa substance, entouré díair et díespace.Quand il écrit de cette musique : « Il me semble que jíassiste à sa naissance », il consacre ainsi son naturel, sa spontanéité. Peut-être aussi ressent-il, sous cette forme imagée, cet art des charnières quíaucun musicien de théâtre nía maîtrisé comme Bizet. On ne sent jamais le passage díune situation à une autre, díun centre díintérêt, díun moyen díexpression à un autre... sauf, bien entendu, síil veut que nous le sentions, car cíest alors non plus líart des charnières, mais celui des contrastes qui est mis en action.

Quant à son instinct de líaccent dramatique qui porte, en une formule ramassée et percutante, il éclate à chaque page, notamment dans le duo final de Carmen , et cíest encore à Nietzsche que nous emprunterons, pour conclure, la phrase qui líillustre díun exemple caractéristique : « Je ne connais aucun cas où líesprit tragique, qui est líessence de líamour, síexprime avec une semblable âpreté, revêt une forme aussi terrible que dans le cri de don José : ìCíest moi qui líai tuée...î »

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Quelques éléments pour parler de « mythe » :


- Film de Carlos Saura : Carmen
- Film de J.L Godard : Prénom Carmen
- Tragédie de Peter Brooks : Carmen
- Film-opéra de Rosi : Carmen
- Carmen Jones díOtto Preminger, adaptation de líhistoire dans le milieu noir américain.
-Utilisation de Carmen dans la publicité ou la musique
Oeuvre connue de tous, opéra le plus joué au monde

Il y a création díune véritable mythologie autour de cette femme.


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REMARQUES :

1845 : LíEspagne est à la mode en France.
- Contes díEspagne et díItalie de Musset
- Espanha de Théophile Gautier
- Orientales de V.Hugo

On invente en France une mythologie de líEspagne (andalouses danseuses, torreros, sauvagerie, jalousie des hommes...) dans des « espagnolades », pièces de littérature destinées à un public populaire qui met en scène une Espagne imaginaire, archétypale.

Au milieu du XIX° les bohémiens (appelés aussi tziganes, gitans, gypsies = égyptiens en anglais)
sont aussi à la mode :
- V.Hugo et le personnage díEsmeralda dans Notre Dame de Paris ou les ravisseurs et bourreaux díenfants dans LíHomme qui rit.

La mythologie bohémienne tourne autour de ces deux personnages :
- diurne = petite bohémienne
- nocturne = personnage patibulaire
Ces deux personnages sont liés par líamour de la liberté.
Mérimée síengage donc sur un terrain connu, il reprend líidée díamours violentes

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Etat díEsprit de Mérimée au moment de la rédaction de la Nouvelle

1845 : líauteur est lui-même archéologue = inspecteur des monuments publics.

1) Mérimée se met en scène dans la nouvelle comme archéologue en mission en Espagne.
Cíest vrai puisquíen 1834 il fait des voyages en Espagne pour étudier des sites archéologiques.

2) Rapports avec líEspagne :
Sont placés sous le double signe de la réalité et des affabulations
En 1834 les visites se multiplient avec la famille Montijo (Eugénie sera impératrice de France).
Publie Lettres díEspagne et Notes sur la peinture espagnole.

Mais il y a également affabulations : Théâtre de Clara Gazul (soit disant actrice espagnole qui aurait écrit des pièces) = invention de Mérimée. Il cultive la supercherie

3) Mérimée a un goût prononcé pour les minorités ethniques :
Il met en scène des noirs, des corses (Colomba, Mateo Falcone), des Bohémiens.
Il síintéresse à leur culture et à leurs coutumes.
Le choix dans la nouvelle díune bohémienne et díun basque níest pas innocent.

4) Goût pour la violence et description díun type de femme inquiétant :
Colomba est une sorte díAntigone barbare
Voir la pièce Une femme est un diable extrait du Théâtre de Clara Gazul
Voir citation de Paladas au début de Carmen.
On lui prête de multiples histoires de femmes;
+ digressions sur Líhomme et ses symboles de K.G.Jung (animus /anima)

5) Il síintéresse à la magie et à líoccultisme
Présents dans Carmen.

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Explications de Mérimée sur la création de la Nouvelle :

Ce serait une histoire racontée par la comtesse Manuela de Montijo :
Voir une lettre du 16 mai 1845 : « cette histoire que vous míavez racontée il y a 15 ans »
Cíest líhistoire díun truand et díune prostituée.
Le point de départ serait donc une histoire vraie qui se passe à Malaga.
Cette histoire vraie se greffe sur ses préoccupations par rapport aux bohémiens en tant quíethnologue.(preuve = dernier chapitre)

1) Mais líenrichissement culturel est considérable dans cette nouvelle, on dépasse la simple histoire vraie et les préoccupations de Mérimée sur les bohémiens :
- Cervantès : La Gitanilla
- Prévost : Manon Lescaut / mise en abîme : raconte une histoire que qql lui a raconté.
- Lesage : Gil Blas au début du XVIII est un des premierts romans picaresques français.
(picaro = un héros à qui il arrive des aventures et que les principes moraux níétouffent pas.

2) Carmen serait issue de projections personnelles, de fantasmes. Síagit-il díun amour réel ?Une hypothèse avance quíil aurait connu une mûlatresse qui líaurait abandonné (aucune preuve)
On peut penser également quíil a mis dans Carmen certains traits de personnages réels (famille Montijo par exemple, comme Manuela, mère de la future impératrice Eugénie : ce personnage est haut en couleur, elle tient une maison de jeux, esy mêlée dans des scandales financiers et ne sera jamais reçu par son gendre, Napoléon III)
Eugénie, elle, est née à Grenade, très superstitieuse elle se livre à la magie.
Le frère du comte de Montijo est un aristocrate épris díune jeune cigarière et il est borgne (voir Garcia, le mari de Carmen)

3)
Considérations sur gitans ou bohémiens :
Dans la deuxième édition de 1847 figure un chapitre spécial rajouté par Mérimée. Ce chapitre IV est étonnant car il níappartient pas à líintrigue. Cíest un essai ethnologique sur la langue et les moeurs des bohémiens.
- Mérimée était interessé par líoccultisme : les bohémiens pratiquent la Magie (prédisent líavenir).
- 1846 : Mérimée revient aux Bohémiens et raconte un accouchement chez des Gitans (origine de ce chapitre IV)
Il traduit également Les tziganes de Pouchkine (voir dans líopéra de Bizet : Carmen arrêtée chante un air traduit de Pouchkine)
- Mérimée écrit à Gobineau pour avoir des renseignements sur les gitans de Perse.
- Il níest pas marié mais pense adopter une petite fille à des gitans;
- Ce qui líintéresse cíest líethnie, pas seulement les gitanes. Ce qui líintéresse le plus cíest leur magie et leur musique. (Carmen est une magicienne et une danseuse, elle envoûte les hommes par ses chants et ses danses.

- Cet envoûtement est la hantise de Mérimée : Don José est présenté comme une victime mais en fait Carmen lui laisse la volonté de partir. En fait Don José est lui-même lié aux préjugés de fidélité de son ethnie (basque) . Alors que les gitans sont des nomades, en instabilité permanente y compris dans le domaine sentimental. Carmen níest pas fidèle à ses amants. On assiste à un choc de cultures qui ont des principes contradictoires.

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Don José - Des contradictions

Carmen - Une fidélité autre

(marques díinstabilité)
- ses parents voulaient quíil soit prêtre, il ne lía pas été.
- Il a joué à la pelote mais cíest un mauvais joueur
- Il entre dans líarmée du roi díEspagne mais il devient déserteur;

Níest jamais bien où il est.
La fidélité de Carmen níest pas sur le plan sentimental.
- elle est mariée mais son mari est en prison, elle le fait libérer mais ce níest pas vraiment par amour car elle níy tient pas.
- Le fondement de la mythologie de Carmen cíest la LIBERTE (díordre individuel) et la fidélité de Carmen est très forte par rapport à cette liberté. (caractéristique des ethnies nomades ?)

- elle croit au destin, se soumet, níest jamais révoltée
FATALITE (díorigine métaphysique) est une donnée de la mentalité gitane, ce sont des enfants díAllah (Inch Allah)

La nouvelle de Mérimée nía pas fait un grand bruit dans les milieux littéraires. En 1854, Sainte-Beuve se contente de comparer Carmen à Manon Lescaut.
Ce qui a oeuvré à rendre Carmen universelle cíest líopéra créé en 1875 sur un livret de Meilhac et Halévy et une musique de Georges Bizet.





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