SANS AUCUNE LOGIQUE NI ORGANISATION, JUSTE QUELQUES TEXTES POUR LE PLAISIR...



Voyelles


A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles

Je dirai quelque jour vos naissances latentes:

A, noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombres; E, candeurs des vapeurs et des tentes,

Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles;

I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles

Dans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,

Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides

Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,

Silences traversés des Mondes et des Anges;

- O l'Oméga, rayon violet de Ses yeux!

Matin


N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire

sur des feuilles d'or, - trop de chance! Par quel crime, quelle erreur,

ai-je mérité ma faiblesse actuelle? Vous qui prétendez que des bêtes

poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des morts

rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas

plus m'expliquer que le mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je

ne sais plus parler!


Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'était

bien l'enfer; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes.


Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à

l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les

trois mages, le coeur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par delà les

grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse

nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition,

adorer - les premiers! - Noël sur la terre!


Le chant des cieux, la marche des peuples! Esclaves, ne maudissons pas la vie.

Le Dormeur du val


C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.


Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.


Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.


Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


Octobre 1870


autoportrait

Ma Bohème (Fantaisie)


Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal;
Oh! là! là! que d'amours splendides j'ai rêvées!


Mon unique culotte avait un large trou.
-Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
-Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.


Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;


Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
Des mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!


Les Ponts

Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes, s'abaissent ou s'amoindrissent. Quelques uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. -Un rayon blanc tombant du haut du ciel anéantit cette comédie.

Le Bateau ivre


Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cible
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.


J'étais insoucieux de tous les équipages
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.


Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants
Je courus ! Et les Péninsules démarrée
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.


La tempête a béni mes éveils maritimes
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !


Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures
L'eau verte pénétra ma coque de sapin,
Et des taches de vins bleus et des vomissure
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.


Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;


Où, teignant tout à coup les bleuités, délire
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !


Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombe
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !


J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !


J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !


J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !


J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Floride
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peau
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des bride
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !


J'ai vu fermenter les marais énormes, nasse
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces
Et les lointains vers les gouffres cataractant !


Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !


J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorade
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.


Parfois, martyr lassé des pôles et des zones
La mer dont le sanglot faisait mon roulis dou
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...


Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !


Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;


Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;


Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;


Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !


J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?


Mais, vrai, j'ai trop pleuré! Les Aubes sont navrantes
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate! Ô que j'aille à la mer !


Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.


Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.