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Epreuve anticipée de français Préparations pour des études réalisées avec une classe de 1°STT (textes 1 et 2) et une classe de 1°S (textes 3 et 4)
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LA RENCONTRE AMOUREUSE DANS LE ROMAN
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Madame de La Fayette : La princesse de Clèves ![]() |
Stendhal : Le Rouge et le Noir
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Nerval (1808-1855) : "Sylvie" (Les filles du feu) ![]() |
Situation du texte :
La princesse de Clèves est un roman dont l'action se situe au XVI°s, il commence ainsi :
" La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d'éclat que dans les dernières années du règne de Henri second "
= Henri de Valois, fils de François I° et de Claude de France, né en 1518, marié en 1533 à Catherine de Médicis, roi en 1547, mort en 1559. La romancière situe l'action de son roman dans les années 1557-1559
Il raconte l'amour impossible (car elle est mariée) de Mme de Clèves pour le prince de Nemours, " le seigneur le plus brillant de son temps ". Leur première rencontre a lieu au palais du Louvre, lors d'un grand bal. L'épisode se situe dans la première partie du roman, peu de temps après le mariage de Mme de Clèves.
Lecture
Introduction
Malgré une certaine pudeur dans le style due certainement à l'époque et l'absence de réelles descriptions, ce texte nous présente de façon très précise les mécanismes d'une rencontre qui est à la fois fruit du hasard et d'une décision royale. Dans une lecture méthodique nous étudierons la réciprocité des regards et donc des sentiments puis les circonstances et les mécanismes de cette rencontre.
Plan détaillé :
- Madame de Clèves Nemours
- Nemours Madame de Clèves
Conclusion :
Le récit de cette rencontre présente l'aspect inexorable du sentiment amoureux. Même provoquée par jeu, par simple provocation ou caprice de la cour, la rencontre fonctionne car le couple était destiné à se constituer. Cette prédestination préfigure d'autres rencontres comme celles qui ont été étudiées dans ce groupement et fait penser à ce que Montaigne disait pour expliquer son amitié avec La Boëtie : " parce que c'était lui, parce que c'était moi."
- Madame de Clèves Nemours
L'auteur présente alternativement les 2 personnages en soulignant la vision que chacun a de l'autre.
Le début du texte présente la narration du point de vue de Mme de Clèves, c'est elle que nous suivons : " acheva de danser "
Et c'est très vite par son regard que nous allons voir la scène :
" pendant qu'elle cherchait des yeux QQL "
Le lecteur scrute donc l'assistance avec elle à la recherche d'une personne inconnue " qql " qui de plus ne semble pas devoir jouer un rôle important, juste celui de cavalier.
Cependant, dès le premier regard porté sur Nemours elle le reconnaît (avec toutes les acceptions du terme)
" elle crut d'abord ne pouvoir être que M.de Nemours "
elle le reconnaît car c'est un personnage connu
elle le reconnaît comme celui qui est capable de capter son attention :
" il était difficile de n'être pas surpris de le voir quand on ne l'avait jamais vu "
Plus que sa réputation c'est son aura, son charisme qui charme Mme de Clèves :
Sa tenue : " le soin qu'il avait pris de se parer "
Son charme naturel : " l'air brillant qui était dans sa personne "
Une phrase de transition montre la réciprocité des regards et change brutalement le point de vue
" mais il était aussi difficile... "
- Nemours Madame de Clèves
La phrase de transition souligne une remarquable similitude entre les 2 personnages : la vision de l'un et de l'autre provoque une égale surprise. La similitude est exprimée par la reprise de l'adjectif " difficile " (l.8+12) par l'adverbe " aussi ", par l'idée de " la première fois ".
Les réactions de M.de Nemours sont par symétrie identiques à celles de Mme de Clèves et montrent la parfaite organisation du texte .
L.9 l.15
" n'être pas surpris " / " fut tellement surpris "
l.8 .l.17
" il était difficile " / " il ne put s'empêcher "
La force qui les attire l'un à l'autre paraît irrémédiable malgré le rôle que semblent vouloir jouer les autres personnages de la scène.
Les personnages se rencontrent à un grand bal, ils ne sont donc pas seuls. Cependant les autres personnes présentes semblent très vite n'être là que pour mettre en valeur le couple, à la limite pour confirmer sa création.
Il y a d'abord le Roi qui incarne ici le Destin en provoquant la rencontre :
" le roi lui cria de prendre celui qui arrivait "
Puis à la ligne 20 cela devient " le Roi et les Reines " (La reine Catherine de Médicis et la dauphine Marie Stuart)
Ces figurants de l'espèce la plus royale sont une sorte de caution morale apportée à la constitution de ce couple puisqu'à la fin du passage ce sont eux qui scellent la rencontre
" singulier de les voir danser ensemble sans se connaître "
l.23 à 26
Revenons maintenant sur les mécanismes mêmes de la rencontre.
La première phrase pose rapidement le problème en définissant les circonstances de la rencontre :
Mme de Clèves cesse de danser, elle s'apprête à changer de partenaire
Mais c'est le Roi qui désigne ce partenaire. On a déjà dit que le Roi symbolisait le Destin, le fait qu'il la rencontre en organisant une danse est également symbolique
On pourrait alors croire au hasard de la rencontre mais les choses se passent très vite, preuve en est la multiplication des passés simples (se tourna, vit, crut) en opposition à l'imparfait " qui passait " qui montre une action plus longue : Mme de Clèves a donc le temps de contempler ce futur partenaire.
La similitude entre les deux personnages est tellement parfaite que le hasard disparaît : ils ne pouvaient pas ne pas se rencontrer :
On retrouve ici, dans cette parfaite similitude et symétrie dans la façon de les présenter la conception platonicienne de l'amour qu'on peut trouver dans Le Banquet (à expliquer)
Le couple est donc constitué très rapidement par la structure même du texte
l.1 à 12
phrase de transition
l.15 à 20
L'apothéose du spectacle de l'harmonie du couple commence avec la danse. C'est le regard des autres qui scelle alors le couple
" il s'éleva dans la salle un murmure de louanges "
La Beauté qui émane du couple vieznt de l'harmonie qu'il dégage, la cour s'étonne d'ailleurs :
" se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus "
Après la reconnaissance artistique, esthétique du couple, il y a la volonté d'une reconnaissance sociale alors que la situation devrait l'interdire :
" leur demandèrent s'ils n'avaient pas ...point ".
Malgré la préméditation apparente voulue au début par le Roi, il est lui-même surpris à la fin par l'harmonie qui se dégage du couple, il semble dépassé par l'amour. Si on se souvient de ce que symbolise le Roi ici (le Destin) on pourrait pousser l'interprétation en disant que cet étonnement montre que l'amour est plus fort que les destin , il arrive à le surprendre.
Situation du passage :
Ecrit en 1830, Le Rouge et le Noir raconte l'évolution sociale d'un jeune homme pauvre mais cultivé et ambitieux : Julien Sorel. Ce texte se situe au début du roman alors que Julien se présente au domicile des de Rênal pour une place de précepteur. Il vient de recevoir une gifle de son père au moment où commence le texte.
Lecture:
Introduction :
La rencontre, inattendue, donne lieu à une confusion d'identité qui sera à l'origine des sentiments de Madame de Rênal : elle prend d'abord Julien pour une jeune fille tant sa douceur la marque, elle craignait un être brutal et sévère envers ses enfants. A travers une lecture méthodique nous étudierons ce texte selon trois axes : le jeu des regards, un double portrait et les effets du choc affectif.
Plan détaillé :
Conclusion :
Ce nouvel épisode de rencontre amoureuse repose sur un effet de surprise, un quiproquo même puisque Mme de Rênal ne réalise pas tout de suite à qui elle a affaire. L'auteur emploie toute une série de points de vue afin de réaliser un double portrait des protagonistes. Stendhal excelle dans cet exercice comme le dit Julien Gracq dans En lisant en écrivant (Corti) :
" Balzac, quand il est optimiste, est le romancier de la réussite planifiée, et Stendhal celui du bonheur, toujours plus ou moins enfant du miracle. "
L'importance des regards est mise en évidence par l'emploi de verbes qui s'apparentent à l'action de voir ou à celle de regarder. Il y a de plus une alternance entre les deux personnages : Mme de Rênal voit Julien sans être vue, puis est découverte, le regard devient alors réciproque : c'est ainsi que la rencontre devient échange.
" aperçut " l.5
" il ne la voyait pas " l.19-20
" à se regarder " l.32
" Julien n'avait jamais vu " L.32-33
" regardait " l.35
On peut remarquer qu'au sein de ces occurrences il y a variation des temps et des modes. A l'indicatif, le passé simple souligne le caractère soudain de la première vue. Cette soudaineté est accentuée par l'emploi du verbe " apercevoir " l.5..
L'imparfait, par opposition, souligne une action qui dure. Le verbe " regarder " (l.35) insiste sur cette idée d'attention, d'observation même presque.
Le plus-que-parfait (" n'avait jamais vu " l.33) fait allusion par la négation et l'antériorité à l'inexpérience du jeune homme, qui n'a aucune référence féminine.
Enfin le verbe " se regarder " (l.32) insiste, par la voix pronominale, sur la réciprocité de l'action et l'échange des regards.
Ce simple jeu sur les temps et les modes permet de faire ressortir l'organisation même de la rencontre.
Le premier verbe a pour sujet : Mme de Rênal. C'est donc elle qui, la première, aperçoit " l'autre " de manière inattendue. Le verbe VOIR (l.9) a lui pour sujet Julien.
La forme négative (" Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s'avancer " l.19-20) crée une situation dans laquelle Mme de Rênal a tout loisir d'observer le jeune homme sans qu'il le sache.
Après l'échange des premières paroles " Que voulez-vous ici, mon enfant ? " l.22 la situation change : ce qui permet à chacun d'entre eux de regarder l'autre.
L'importance du regard est, de plus, confirmée par une précision que donne Stendhal (l.23) : ce que Julien perçoit chez son interlocutrice est son " regard ", qui exerce sur lui une véritable fascination.
Ce jeu des regards va déterminer une alternance et permettre à Stendhal une présentation plus rapide et plus précise des deux personnages.
Le premier portrait est celui de Julien vu par Mme de Rênal.
Le deuxième portrait est beaucoup plus rapide et nous donne quelques précisions sur ce que perçoit Julien. Nous étudierons donc maintenant ce double portrait.
Les jeux des regards permettent à Stendhal une présentation des personnages en deux portraits
Le regard de Mme de Rênal capte brusquement (" elle aperçut "l.5) une image qui est aussitôt précisée. L'ensemble des détails constitue un véritable portrait. Celui-ci est fait en plusieurs étapes selon les détails captés :
# le visage " figure " l.6 est complété par une précision concernant l'allure du personnage (" d'un jeune paysan " l.6). Ce groupe nominal est lui-même précisé par 3 caractérisations qui insistent toutes 3 sur sa fragilité. On note deux termes modifiés par des adverbes : " presque encore enfant ", " extrêmement pâle " l.6-7 et une subordonnée relative (" et qui venait de pleurer "l.7).
Ces trois caractérisations font du jeune homme une attendrissante apparition.
C'est cet aspect vulnérable qui est à l'origine de l'erreur de Mme de rênal : elle prend Julien pour une fille (l.13).
On remarque que le texte reprend à plusieurs reprises cette image d'hermaphrodite chez Julien :
On peut penser alors à ce que disait Karl Gasper Jung, disciple de Freud dans L'Homme et ses symboles (pulsions de vie : anima c'est le principe féminin, pulsions de mort : animus c'est le principe masculin). Il y a chez Julien une prédominance du principe féminin.
Elle est perçue lorsque Julien, après avoir répondu à la question, regarde son interlocutrice. Cette image est exprimée sous une forme très élogieuse.
Les adverbes d'intensité : " aussi ", " si ", l.33-34 ont ici une valeur de superlatifs.
Julien retient essentiellement 3 caractéristiques :
Notons que la précision apportée par l'expression " surtout une femme " souligne avec peut-être une certaine ironie la totale inexpérience de Julien en matière d'élégance et plus généralement envers les femmes. Le Rouge et le Noir est un roman d'apprentissage, dans le domaine sentimental et érotique également..
3- Le choc affectif
Les deux personnages sont étonnés par cette rencontre, émus et métamorphosés mais ni de la même manière ni pour les mêmes raisons.
Elle se manifeste par des étapes successives, soulignées par des actions, puis par une fascination qui lui fait perdre la mémoire.
- Les actions sont exprimées par des verbes au passé simple (" il tressaillit " l.20, " se tourna " l .23) et marquent l'absence de préméditation, la surprise totale face à l'émotion.
- La fascination est soulignée par l'emploi d'un participe passé passif qui exprime l'idée d'un choc (" frappé "l.23), choc affectif intense qui va le plonger dans une aphasie temporaire
Ce choc s'explique chez Julien par un manque total d'expérience dû surtout à son jeune âge mais cette fascination est-elle celle qu'il ressent pour Mme de Rênal ou pour ce qu'elle symbolise ? N'oublions pas que la première chose qui attire Julien c'est sa tenue...
Mme de Rênal a plusieurs réactions successives, étroitement liées à la question de l'identité de Julien.
Stendhal les analyse avec précision, en narrateur omniscient.
Il fait état d'abord de pitié et de compassion (" Elle eut pitié " l.14). Cette compassion détermine toute une interprétation du comportement de Julien, excusé ainsi a priori pour son comportement maladroit (" et qui évidemment n'osait pas... "l.15-16).
Elle est ensuite remplacée par un violent étonnement, que traduit l'adjectif " interdite " l.31.
On note que cet état est exprimé au passé simple, ce qui en souligne la brutalité. A cet état succède enfin, contre toute attente, une véritable explosion de joie. Celle-ci est exprimée par un ensemble de termes appartenant au registre de l'affectivité heureuse (" rire", " gaîté folle ", " se moquait ", " bonheur " l .38-40.
Cette dernière réaction s'explique par la juxtaposition presque grotesque de deux images : celle du précepteur imaginé " prêtre sale et mal vêtu " l.41-42 et celle de Julien, qui en est si éloigné.
Cependant, l'émotion de Mme de Rênal est surtout ici liée à sa propre erreur et à son soulagement de mère. Etrangement peut-être, cette scène de rencontre empreinte d'une grande émotion ne révèle pas de sentiments très précis, l'attirance est évidente mais rien ne laisse vraiment présager de la suite de leur relation.
Conclusion :
Ce nouvel épisode de rencontre amoureuse repose sur un effet de surprise, un quiproquo même puisque Mme de Rênal ne réalise pas tout de suite à qui elle a affaire. L'auteur emploie toute une série de points de vue afin de réaliser un double portrait des protagonistes. Stendhal excelle dans cet exercice comme le dit Julien Gracq dans En lisant en écrivant (Corti) :
" Balzac, quand il est optimiste, est le romancier de la réussite planifiée, et Stendhal celui du bonheur, toujours plus ou moins enfant du miracle. "
Marivaux : La vie de Marianne
Parmi les jeunes gens dont j'attirais les regards, il y en eut un que je distinguai moi-même, et sur qui mes yeux tombaient plus volontiers que sur les autres.
J'aimais à le voir, sans me douter du plaisir que j'y trouvais; j'étais coquette pour les autres, et je ne l'étais pas pour lui; j'oubliais à lui plaire, et ne songeais qu'à le regarder.
Apparemment que l'amour, la première fois qu'on en prend, commence avec cette bonne foi-là, et peut-être que la douceur d'aimer interrompt le soin d'être aimable.
Ce jeune homme, à son tour, m'examinait d'une façon toute différente de celle des autres : il y avait quelque chose de plus sérieux qui se passait entre lui et moi. Les autres applaudissaient ouvertement à mes charmes, il me semblait que celui-ci les sentait; du moins je le soupçonnais quelquefois, mais si confusément, que je n'aurais pu dire ce que je pensais de lui, non plus que ce que je pensais de moi. Tout ce que je sais, c'est que ses regards m'embarrassaient, que j'hésitais de les lui rendre, et que je les lui rendais toujours; que je ne voulais pas qu'il me vît y répondre, et que je n'étais pas fâchée qu'il l'eût vu. Enfin on sortit de l'église, et je me souviens que j'en sortis lentement, que je retardais mes pas; que je regrettais la place que je quittais; et que je m'en allais avec un coeur à qui il manquait quelque chose, et qui ne savait pas ce que c'était. Je dis qu'il ne le savait pas; c'est peut-être trop dire, car, en m'en allant, je retournais souvent la tête pour revoir encore le jeune homme que je laissais derrière moi; mais je ne croyais pas me retourner pour lui.
Marivaux, La vie de Marianne (1731-1741).
NB : Le roman a été publié en plusieurs étapes, et reste inachevé.
Introduction :
Le récit de cette rencontre met en relief l'importance accordée par la narratrice à un personnage parmi d'autres. Ce récit se complète d'une analyse précise et subtile que Marianne fait de ses sentiments et de son" jeu " . En véritable maître du théâtre, Marivaux met en scène une rencontre amoureuse en privilégiant l'aspect visuel. Dans une lecture méthodique on pourra étudier les protagonistes, puis le jeu des regards entre ces personnages et enfin la naissance du sentiment amoureux.
Plan détaillé :
1) Les protagonistes
1) Les protagonistes
- Les autres
Dès le début du texte, la narratrice fait exister un groupe de personnages déterminés uniquement par rapport aux effets qu'elle produit sur eux: " parmi les jeunes gens dont j'attirais les regards ".
Petit à petit leur dénomination se fait plus floue : " pour les autres ", " différente de celle des autres ", " les autres applaudissaient "ÖIls existent surtout grâce à un jeu d'oppositions dans le langage :
- " plus volontiers que sur les autres "
- " j'étais coquette pour les autres, et je ne l'étais pas pour lui "
- " différente de celle des autres "
Il faudrait ainsi comprendre l'utilité des " autres " comme des faire-valoir, un groupe qui permet d'isoler davantage l'objet d'attention puis de désir. Preuve en est la disparition totale de ces personnages lorsque l'effet de la rencontre est connu, quand Marianne part, elle se retourne pour ne plus voir qu'une personne :
" le jeune homme que je laissais derrière moi "
&endash; Le jeune homme
La focalisation interne permet d'analyser les différentes étapes de la rencontre, ainsi même s'il n'y a pas de description du jeune homme, son apparition se fait progressivement, il se singulariseÖ
D'abord par la volonté même de la narratrice : " il y en eut un que je distinguai moi-même " qui semble oublier tout à coup toute sa superficialité pour devenir sincérité : " j'oubliais à lui plaire, et ne songeais qu'à le regarder ". Ce jeune homme n'existe donc d'abord que par le regard de la narratrice.. A partir de " Ce jeune homme à son tour m'examinaitÖ " les regards se font réciproque et le jeune homme se singularise davantage. La progression est évidente jusqu'à " sentait ".
" différente ", " plus sérieux ", " les autres/celui-ci ", cette volonté de différenciation est à son apogée avec le verbe " sentir ", lui seul semble en effet capable de " sentir " - au sens propre de percevoir par les sens &endash; la narratriceÖ.l'intimité, la sensualité prouve l'émergence de sentiment qui dépassent les seuls regards.
- La narratrice
La narratrice a un comportement assez ambiguë par rapport à l'amour. D'un côté elle se définit comme quelqu'un qui aime jouer de ses charmes :
" Parmi les jeunes gens dont j'attirais les regards ", ce " parmi " implique un nombre très importantÖ
" J'aimais à le voir "
" j'étais coquette pour les autres "
" Les autres applaudissaient ouvertement à mes charmes "
Ces quelques exemples semblent mettre en scène une libertine soucieuse de provoquer le désir chez les hommes et fière de le provoquerÖCependant, elle est aussi totalement inexpérimentée quant au sentiment amoureux :
" Apparemment que l'amour, la première fois qu'on en prend, commence avec cette bonne foi-là, et peut-être que la douceur d'aimer interrompt le soin d'être aimable "
C'est la sincérité des émotions qui implique la sincérité du comportement et révèle le sentiment amoureux.
" tout ce que je sais c'est que ses regards m'embarrassaient , que j'hésitais de les lui rendre "
La fin du passage fait plus penser à une jeune fille très sage, timide qui part de l'Eglise, un regard très gêné derrière elle, on est loin du début et des " applaudissements "
1) Le jeu des regards
- Une scène très visuelle
Marivaux est avant tout un auteur de pièces de théâtre (La surprise de L'Amour &endash; 1722 -, Le Jeu de l'Amour et du Hasard - 1730 -, Les Fausses Confidences &endash; 1737 -, L'Ile des Esclaves &endash; 1725Ö).
Son nom est à l'origine du nom " marivaudage " qui rend hommage à la finesse de l'analyse des personnages mais aussi à la subtilité du langage. Diderot en parlant des écrivains " qui ont l'imagination vive ", comme Marivaux a dit dans La Lettre sur les Aveugles :
" Les situations qu'ils inventent, les nuances délicates qu'ils aperçoivent dans les caractères, la naïveté des peintures qu'ils ont à faire, les écartent à tout moment des façons de parler ordinaires, et leur font adopter des tours de phrases qui sont admirables toutes les fois qu'ils ne sont ni précieux ni obscurs ".
Si Diderot pouvait penser au théâtre, sa citation semble pouvoir s'appliquer à ce texte tant le style traduit la sincérité des sentiments.
Le champ lexical du regard est omniprésent :
" regard " (2 fois)
" regarder " qui devient " rendre " lorsque les regards se font réciproques
" distinguai "
" mes yeux " "m'examinait "
"VOIR avec un jeu subtile sur les temps dans :
" que je ne voulais pas qu'il me vît y répondre, et que je n'étais pas fâchée qu'il l'eût vu ".
La fin même de ce texte est un regard, celui que la narratrice porte en se retournant en partant :
" pour revoir encore "
- Réciprocité des regards
Assez rapidement, ce jeu des regards devient réciproque. Au début c'est le regard de la narratrice qui isole le jeune homme comme on l'a vu :
" sur qui mes yeux tombaient plus volontiers que sur les autres "
L'imparfait souligne ici la régularité, la répétition du phénomène et le verbe " tomber " semble donner au hasard une part qui ne lui revient peut-être pas, ce hasard étant annulé par la répétitivité du regard .
" J'aimais à le voir " devient " Ce jeune homme à son tour, m'examinaitÖ "
Il y a même une sorte d'inversion des rôles, l'observateur devient observé et en est même gênée :
Ligne 21 à 24 passage dans lequel réside toute la confusion des sentiments et que nous étudierons plus précisément dans la dernière partie.
- Le regard comme siège du sentiment amoureux
Marivaux reprend ainsi toute une tradition classique qui définit le regard, les , comme siège du sentiment amoureux . Dans le texte, la révélation est assez rapide lorsqu'au début la narratrice dit :
" Apparemment que l'amourÖle soin d'être aimable ".
Notons cependant que le passage au présent prouve la distance temporelle qui sépare le moment de la rencontre du moment de l'écriture, la narratrice revient sur des faits passés lorsqu'elle raconte cette rencontre et peut donc, très tôt analyser les effets. Cette phrase, incise dans le schéma narratif, est encadrée par deux verbes significatifs :
" regarder " ligne8 (c'est elle qui fait l'action)
" m'examinait ", ligne 13 (c'est lui)
Ces deux verbes ont pour sujets les deux protagonistes, ils prouvent la réciprocité des regards et en encadrant la réflexion sur l'amour montrent la naissance réciproque du sentiment amoureux.
2) Naissance du sentiment amoureux
- Un situation exceptionnelle
Les circonstances de la rencontre renforcent ce que Marivaux affirmait déjà dans deux titres de pièces
La Surprise de l'Amour et Les Jeux de l'Amour et du Hasard. La situation est exceptionnelle et refuse toute préméditation, comme le prouve l'emploi du passé simple au début
" il y en eut un "
Ce passé simple est encadré par deux imparfaits, ce qui accentue la rapidité du phénomène.
Ce n'est que la distanciation entre le moment de l'écriture et le moment de la rencontre qui permet d'analyser la naissance de ce sentiment, les choses vont trop vite -cette distanciation a déjà été montré à la ligne 10, elle est également présente dans " et je me souviens " ligne 25- C'est à partir de ce " souviens " que l'interprétation des comportements ne laisse aucun doute :
" je retardais mes pas "
" je m'en allais avec un cúur à qui il manquait quelque chose "
La situation qui a provoqué la rencontre est donc exceptionnelle, rien ne pouvait prévoir cette naissance du sentiment amoureux.
- La place des sentiments
Au début du texte la narratrice parle davantage de sensations que de sentiments, c'est le plaisir qui domine mais un plaisir très superficiel
" attirais " " plaisir " " coquette " " plaire "
Cette superficialité est montrée dans " " j'oubliais à lui plaire et ne songeais qu'à le regarder ", c'est dire que ce souci de plaire, ce plaisir de plaire n'est qu'un jeu auquel la narratrice a l'habitude de jouer.
" il y avait quelque chose de plus sérieux qui se passait entre lui et moi " ligne 15 montre la fin de ce jeu, ce qui déstabilise énormément la narratrice, l'oblige à une introspection :
" je le soupçonnais quelquefois, mais si confusément, que je n'aurais pu dire ce que je pensais de lui, non plus que ce que je pensais de moi. "
Le doute qui s'installe chez la narratrice quant à l'interprétation des regards du jeune homme prouve l'émergence de sentiments qu'elle ne contrôle pas. La syntaxe même illustre cette perte de contrôle avec le passage lignes 21 à 24 qui multiplie les propositions subordonnées (huit occurrences du subordonnant QUE)
L'amour est assumé dès le départ de l'Eglise :
" je m'en allais avec un cúur à qui il manquait quelque chose " avec cette image aussi très classique qui fait référence à la conception platonicienne de l'amour qui symbolise le couple comme deux parties d'un même élément.
- Les conséquences de la rencontre.
A la fin du texte le couple est constitué sans qu'on sache plus de choses sur le jeune homme puisqu'il n'y a eu aucune description. La prétérition reconnue dans
" Öet qui ne savait pas ce que c'était. Je dis qu'il ne le savait pas ; c'est peut-être trop dire "
prouve la confusion dans laquelle se trouve la narratrice après son départ de l'Eglise, envoûtée, par un filtre si on se souvient de la manière avec laquelle elle parlait de l'amour " la première fois qu'on en prend " ligne 9.
Le souvenir ralentit même les gestes (phénomène bien connu du cinémaÖ) "lentement ", " retardais " et accentue le sentiment de manque, de regret peut-être même. C'est encore le décalage temporel qui permet à la narratrice d'élucider les motivations de ses actes et de reconnaître que le charme a agi même si elle tente de se cacher la vérité :
" je ne croyais pas me retourner pour lui. "
Conclusion :
Cette rencontre reprend donc certains éléments très traditionnels dans la littérature quant au thème de la rencontre amoureuse. L'originalité réside peut-être dans le fait qu'on ne sait rien du jeune homme, même après la rencontre et que Marivaux a parfaitement su, grâce à l'écriture, traduire le trouble dans l'esprit de Marianne, à partir de simples regards. Il écrivait :
" J'ai guetté dans le cúur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d'une de ses nichesÖDans mes pièces, c'est tantôt un amour ignoré des deux amants ; tantôt un amour qu'ils sentent et qu'ils veulent se cacher l'un à l'autre ; tantôt un amour timide qui n'ose se déclarer ; tantôt enfin un amour incertain et comme indécis, un amour à demi-né, pour ainsi dire, dont ils se doutent sans en être bien sûrs et qu'ils épient au dedans d'eux-mêmes avant de lui laisser prendre l'essor.
Sylvie est la plus célèbre des Nouvelles de Nerval (de son vrai nom Gérard Labrunie). Publiée en août 1853, elle fut l'année suivante incluse dans le recueil des Filles du feu. Le récit raconte " l'histoire d'un cúur épris de deux amours simultanées ". En réalité, trois figures féminines commandent la structure de l'úuvre : Adrienne, la noble religieuse sublimée en sainte chrétienne ; Aurélie (alias Jenny Colon, la maîtresse de Nerval), la comédienne transformée en déesse infernale ; Sylvie enfin, la petite paysanne du Valois de l'enfance de Gérard.
Dans le chapitre II de "Sylvie", nouvelle d'inspiration autobiographique, le narrateur se remémore sa première rencontre avec une jeune fille nommée Adrienne. Les circonstances de cette scène champêtre en font une sorte de cérémonie magique.
J' étais le seul garçon dans cette ronde, où j'avais amené ma compagne toute jeune encore, Sylvie, une petite fille du hameau voisin, si vive et si fraîche, avec ses yeux noirs, son profil régulier et sa peau légèrement hâlée... Je n'aimais qu'elle, je ne voyais qu'elle jusque-là. A peine avais - je remarqué, dans la ronde où nous dansions, une blonde, grande et belle, qu'on appelait Adrienne. Tout à coup, suivant les règles de la danse,, Adrienne se trouva placée seule avec moi au milieu du cercle. Nos tailles étaient pareilles. On nous dit de nous embrasser, et la danse et le choeur tournaient plus vivement que jamais. En lui donnant ce baiser, je ne pus m'empêcher de lui presser la main. Les longs anneaux roulés de ses cheveux d'or effleuraient mes joues. De ce moment, un trouble inconnu s'empara de moi. La belle devait chanter pour avoir le droit de rentrer dans la danse. On s'assit autour d'elle, et aussitôt, d'une voix fraîche et pénétrante, légèrement Voilée, Comme Celle des filles de ce pays brumeux, elle chanta une de ces anciennes romances pleines de mélancolie et d'amour, qui racontent toujours les malheurs d'une princesse enfermée dans sa tour par la volonté d'un père qui la punit d'avoir aimé. La mélodie se terminait à chaque stance par ces trilles chevrotants que font valoir si bien les voix jeunes, quand elles imitent par un frisson modulé la voix tremblante des aïeules.
A mesure qu'elle chantait, l'ombre descendait des grands arbres, et le clair de lune naissant tombait sur elle seule, isolée de notre cercle attentif. - Elle se. tut, et personne n'osa rompre le silence. La pelouse était couverte de faibles vapeurs condensées, qui déroulaient leurs blancs flocons sur les pointes des herbes. Nous pensions être en paradis. - Je me levai enfin, courant au parterre du château, où se trouvaient des lauriers, plantés dans de grands vases de faïence peints en camaïeu. Je rapportai deux branches, qui furent tressées en couronne et nouées d'un ruban. Je posai sur la tête d'Adrienne cet ornement, dont les feuilles lustrées éclataient sur ses cheveux blonds aux rayons pâles de la lune.
Gérard de Nerval, Les Filles du feu (1854)
Introduction :
La rencontre entre les deux adolescents est racontée comme un rituel d'initiation. Elle fait d'Adrienne une divinité dont le pouvoir transforme le monde et fait oublier le réel. Dans une lecture méthodique, nous envisagerons d'abord les circonstances de la rencontre puis la rencontre en elle &endash;même et enfin le travail sur l'écriture qui nous permettra de parler de véritable prose poétique.
Plan détaillé:
1)Les circonstances de la rencontre
&endash; Les protagonistes
La narration est à la première personne du singulier, " je ", cette focalisation interne ne va pas nous permettre d'avoir beaucoup de renseignements sur le garçon puisque c'est lui qui raconte l'histoire :
" J'étais le seul garçon dans cette ronde "
Cet isolement rend la situation exceptionnelle et en quelque sorte focalise toute l'attention du lecteur sur ses réactions ;
Le narrateur est accompagné d'une jeune fille dont il dit :
" je n'avais qu'elle, je ne voyais qu'elle, jusque-là "
Cet effet, très théâtral prépare le lecteur à la rencontre amoureuse. Cette rencontre est d'autant plus étonnante que la compagne du narrateur est le personnage éponyme : Sylvie :
" une petite fille du hameau voisin ".
Non seulement il dit l'aimer mais elle donne son nom à l'úuvre, ce n'est pourtant pas elle qui sera l'autre protagoniste de la rencontre :
" A peine avais-je remarquéÖAdrienne "
C'est donc par une surprise que commence ce récit d'une rencontre, surprise du narrateur qui était persuadé de ne voir que Sylvie mais dont l'attention va être captée par une autre, surprise également du lecteur, obligé de se détacher du personnage éponyme pour suivre Adrienne. Nous étudierons ce personnage de façon plus détaillée dans la deuxième partie de l'étude.
- La Nature
Il faut attendre avant de connaître le lieu où se déroule l'action, le regard du narrateur privilégiant la vision d'Adrienne. On sait que Sylvie est une petite campagnarde :
" du hameau voisin "
" sa peau légèrement hâlée " témoigne d'une vie passée au grand air.
On parle ensuite de " ce pays brumeux " plein de mystères donc.
Lorsque la magie de la rencontre agit, le cadre apparaît plus clairement (à partir l.29)
" ombre descendait des grands arbres "
" clair de lune "
" la pelouse était couverte de faibles vapeurs condensées "
La Nature se fait enchanteresse, magique (les ombres " descendent ", agissent donc d'elles-mêmes) et devient un facteur favorisant la rencontre, lui créant une sorte d'écrin magique :
" nous pensions être en paradis "
Cette image bucolique se confirme dans le trophée que fabrique le narrateur pour Adrienne, transformée ainsi en divinité païenne (Sylphe ou Nymphe)
" Je rapportai deux branches, qui furent tressées en couronne et nouées d'un ruban. Je posai sur la têteÖrayons pâles de la lune. "
- Le jeu :
Le dernier facteur décisif de cette rencontre est le JEU auquel se mêle le narrateur. :
" dans cette ronde "
C'est une ronde d'enfants tout d'abord, la compagne du narrateur est " toute jeune encore "
Mais très vite, cette connotation s'estompe, le narrateur parle de " danse ", de " cercle " et non plus de ronde.
Adrienne est désignée par des adjectifs substantivés (" blonde, grande et belle ").
Une dernière connotation puérile à la ligne 11 " nos tailles étaient pareilles " privil égie le jeu au sentiment amoureux ou au désir à peine évoqué :
" un trouble inconnu s'empara de moi "
Cette hésitation peut s'expliquer par le fait que le narrateur sait qu'il n'y aura jamais aboutissement du désir avec Adrienne.
A partir de cet instant où les deux personnages sont en présence, le texte va se faire beaucoup lus poétique, métaphorique avec l'intervention du merveilleux.
C'est ce que nous allons voir en étudiant plus précisément la rencontre.
2)La rencontre
- Les étapes
La rencontre repose d'abord sur une surprise puis sur un comportement imposé par le jeu. Nous avons déjà dit que rien ne semblait avoir préparé le narrateur puisqu'il avoue ne voir que Sylvie.
" Tout à coup " l.9 marque la rupture et le déclenchement de la rencontre tout en précisant que ce n'est encore qu'un jeu :
" suivant les règles de la danse "
Tout montre que les personnages ne choisissent pas leurs gestes, tout leur est imposé par la danse, ou presque :
" Adrienne se trouva placée seule avec moi au milieu du cercle "
" on nous dit de nous embrasser "
Cependant le charme agit : " je ne pus m'empêcher de lui presser la main "
Ce geste, le seul qui n'est pas imposé par le jeu prouve le trouble du narrateur et le présente comme quelqu'un d'envoûté, il ne " peut s'empêcher "
La magie, un monde féerique
Nous avons déjà évoqué l'image d'une divinité païenne pour Adrienne, il faudrait maintenant parler de magie
" la danse et le chúur tournaient plus vivement que jamais "
Les personnages disparaissent pour devenir cecle, cercle magique qui envoûte ceux qui y sont.
" Les anneaux roulés de ses cheveux d'or effleuraient mes joues. De ce moment, un trouble inconnu s'empara de moi. "
Le charme est lancé, on assiste à la scène en pensant au filtre d'amour des contes de fées ; cette référence est possible tant le travail du récit se fait poétique et les connotations précises :
" chanson ", " princesse ", " château " (le résumé de la chanson est un résumé de conte)
La jeune fille dont nous étudierons maintenant le portrait a en effet tout d'une princesse de conte de fées.
- La jeune fille
On ne sait pas grand'chose de Sylvie, la compagne du narrateur (l.4 &endash; 5). On n'en sait pas plus au départ sur Adrienne. Nous avons dit qu'elle était désignée par 3 adjectifs substantivés qui résument à eux-seuls toutes les connotations liées à une divinités nordique :
" une blonde, grande et belle "
" les longs anneaux de ses cheveux d'or "
A la ligne 17, elle n'est plus que " la belle "
C'est tout ce que nous saurons d'elle puisqu'à partir de la ligne 17 elle ne devient qu'une voix :
" on s'assit autour d'elle "
Avec ce pronom indéfini, le lecteur tombe lui aussi sous le charme d'Adrienne, il ne s'agit plus d'une simple rencontre amoureuse, ce personnage prend une toute autre dimension.
Elle devient symbole de tout un groupe : lignes 18 &endash; 19 &endash; 20 &endash; 21
Elle devient témoin d'une culture ancestrale : " une de ces anciennes romances "
" voix tremblante des aïeules "
Elle devient apparition, divinité des bois.
" à mesure qu'elle chantait, l'ombre descendait des grands arbres, et le clair de lune naissant tombait sur elle seule, isolée de notre cercle attentif. Elle se tut et personne n'osa rompre le silence "
Elle est maître de l'attention de tous et n'est plus la simple Adrienne que le narrateur avait été obligé d'embrasser dans la danse. Le personnage se détache de toute connotation sensuelle pour devenir une sorte d'entité sacrée.
C'est grâce à une écriture qui se fait de plus en plus poétique que Nerval arrive à transformer cette jeune fille en déesse des bois.
3)Travail poétique de l'écriture
- Les images
C'est avant tout dans la mise en scène qu'on peut parler d'ambiance poétique :
- la ronde, la danse avec l'image des comptines enfantines
- l'échange du baiser qui se fait au milieu d'un cercle dans une cérémonie très codifiée.
- " La belle devait chanter pour avoir le droit d'entrer dans la danse " : ce chant est poétique, il est fait de " amour ", " mélancolie "
- Le dernier geste du narrateur qui consacre Adrienne en divinité se fait sous les " rayons pâles de la lune "
Toute la scène présente en une sorte de mise abyme la chanson d'Adrienne :
" une de ces anciennes romances pleines de mélancolie et d'amour "
Le chant et la réalité se mélangent, le narrateur lui-même ne sait plus dans quel monde il se trouve, son geste à la fin n'est pas rationnel, n'est pas cohérent. (LIRE LA SUITE DU TEXTE DANS MGNARD XIX°p.276)
- Le lexique
Les mots employés par Nerval plongent le lecteur dans un univers poétique :
Mélancolie, amour, malheur, mélodie, fusion, peints en camaïeu, clair de lune, blancs flocons (avec l'antéposition de l'adjectif typique de l'écriture poétique), rayons pâles de la lune.
L'emploi de ce lexique très connoté plonge le lecteur dans une ambiance poétique, ambiance confirmée par le travail de l'écriture .
- Prose poétique
- l'inversion nom/adjectif déjà signalé
- " sur la pointe des herbes "
- Certaines phrases ont le rythme de vers :
- L.25 : " La mélancolieÖaïeules "
- L.29 : " A mesureÖattentif "
- L.32 : " La pelouseÖherbes. "
L'écriture transforme donc doucement presque insidieusement ce récit en prose poétique, on retrouve le Nerval de El Desdichado :
" Je suis le ténébreux &endash; le veuf &endash; l'inconsolé
Le Prince d'Aquitaine à la tour abolie ;
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil Noir de la Mélancolie " (premier quatrain du sonnet présent dans Les Filles de feu.
Mais on peut également penser qu'outre le souvenir réel de cette rencontre, c'est le poète qui parle qui veut avant tout faire un travail esthétique sur ce souvenir. La suite du passage montre un dur retour à la réalité qui prouve que le narrateur s'était momentanément absenté dans les limbes de l'écriture poétique.
Conclusion:
L'ambiance de cette rencontre est très bucolique (référence à Virgile) et plonge le lecteur dans une ambiance féerique voire religieuse. La rencontre est présentée comme un rite initiatique qui peut symboliser le passage du monde de l'enfance au monde adulte dans une écriture très proche de la prose poétique ;
Dans Contre Sainte-Beuve en 1910, Marcel Proust dit ceci à propos de Sylvie :
" Cette histoire que vous appelez la peinture naïve , c'est le rêve d'un rêve(Ö)Gérard a trouvé le moyen de ne faire que peindre et de donner à son tableau les couleurs de son rêve. "