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La composition du recueil


L'unité du recueil n'est pas évidente, mais il est important que les élèves aient bien en tête la table des matières, ce qui leur permettra ensuite de circuler plus aisément dans l'oeuvre.






a/ Description


"Ethiopiques" est constitué de pièces apparemment très hétérogènes:
- les poèmes sont de longueur très inégale (deux pages pour
"Messages" ou "Teddungal", seize pages pour "Chaka")
- on trouve des "guimms" simples, un "guimm" composé (
"L'Absente"), un "poème dramatique" ("Chaka"), des épîtres etc.
- on ne sait comment dénombrer ces poèmes: faut-il considérer les
"Epîtres à la Princesse" comme un seul poème ou comme cinq poèmes? (la même question se pose pour la section "D'autres Chants")
En regardant la table des matières, on peut cependant repérer trois parties (si on ne prend pas en compte la postface):
- les huit premiers poèmes correspondant grossièrement à une célébration de l'Afrique et de ses représentants mythiques.
- les
"Epîtres à la princesse" (cinq lettres du poète-roi envoyées depuis l'Afrique à sa bien-aimée restée en Europe) ainsi que la "Mort de la princesse", qui n'est pas une lettre mais un hymne funèbre
-
"D'autres Chants": huit poèmes où la tonalité élégiaque (célébration mélancolique de l'aimée absente) laisse progressivement place à une tonalité religieuse, l'orientation chrétienne devenant explicite dans les deux derniers poèmes
Senghor insiste par ailleurs sur le fait que, si l'ordre de l'ouvrage ne correspond pas à la chronologie de l'écriture ni à une quelconque reconstruction, il n'est pas pour autant dû au hasard et obéit à "l'inspiration générale du recueil" .




b/ Les conflits du poète: une composition complexe


On ne trouvera vraisemblablement pas d'axe unique autour duquel s'organiserait tout le recueil; il existe cependant un point commun thématique à presque tous les poèmes, à savoir le double conflit poète / homme d'action d'une part, femme aimée / mission politique d'autre part. Dans cette perspective, on peut séparer, dans la première partie (cf. 1), les poèmes simples des poèmes composés:
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"L'Homme et la Bête": premier poème, valeur inaugurale explicite (la victoire de l'homme doué de langue et de pensée sur les forces animales "imbéciles" est le signe d'un avènement : "aurore du rire divin")
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"Congo","Kaya-Magan", "Messages", "Teddungal": guimms simples, c'est-à-dire odes, célébration de l'Afrique à la fois primordiale et éternelle; poèmes marqués par l'union et même la fusion entre le roi et le poète (le Kaya-Magan est à la fois l'empereur et le "maître de l'hiéroglyphe", le locuteur de "Messages" a une "récade bicéphale: gueule du Lion et sourire du Sage", celui de "Congo" est à la fois l'amant de la "reine" et celui qui "rythme le nom" etc.)
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"L'Absente","A New-York", "Chaka", "Epîtres à la Princesse": poèmes composés, marqués par l'affrontement : affrontement des civilisations dans "A New-York", opposition entre le Lion (le roi-guide) et le Dyâli (le troubadour) dans "L'Absente", entre Chaka-amant et Chaka-empereur dans "Chaka" (cf. p. 122), entre l'homme public qui doit faire face à sa mission politique en Afrique et l'homme privé qui a laissé sa bien-aimée à Paris dans les "Epîtres à la Princesse" ("Car ta seule rivale la passion de mon peuple")
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"D'autres Chants": ces tensions ne disparaissent pas mais sont atténuées; les conflits sont moins violents, moins agressifs; le ton change et se fait plus nostalgique; le recueil s'achève sur l'espoir d'une résolution, d'un avenir où les conflits seraient transcendés par la foi (passage du khalam, instrument de l'élégie, aux flûtes d'orgue; dernier verset: "Et c'était les prétemps du monde", jeu sur prétemps/printemps qui mêle retour aux origines et renaissance)

Il est donc difficile de cerner l'unité de ce recueil mais une figure apparaît centrale, celle de l'antagonisme à deux termes; on retrouve ainsi plusieurs versions des conflits du poète en particulier l'opposition parole poétique / action politique (qui n'est évidemment pas sans rapport avec la biographie de Senghor) et celle amour de la femme / amour du peuple; à ces deux oppositions qui se recoupent en grande partie, s'ajoute celle entre le retour à l'Afrique et au "royaume d'enfance" et la séduction par Paris et le monde de Belborg. La composition d'ensemble du recueil semble ainsi mettre en évidence l'émergence progressive de ces antagonismes: on passe de la célébration d'une Afrique primordiale et harmonieuse où le roi est poète et le poète roi à l'évocation d'un univers plus conflictuel qui laisse cependant une place pour une résolution possible.

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