CARMEN

Prosper Mérimée


La gitane : Matisse

Lectures méthodiques :

Texte 1 :
Rencontre narrateur / Don José
Chapitre I, pages 43 à 45 (Univers des Lettres Bordas)
De " Nous arrivâmes à la venta...
à ...dans ses tristes pensées ".

Texte 2 :
Première rencontre Don José - Carmen
Chapitre III, pages 63 à 64
De " Elle avait un jupon rouge...
à ...Première sottise ".

Texte 3 :
La mort de Carmen
Dénouement : chapitre III, pages 102-103
De " Nous étions dans une gorge solitaire...
à ...pour líavoir élevée ainsi. "























Texte 1 :
Rencontre narrateur / Don José
Chapitre I, pages 43 à 45 (Univers des Lettres Bordas)
De " Nous arrivâmes à la venta...
à ...dans ses tristes pensées ".



Situation du passage

Le narrateur, accompagné de son guide rencontre un personnage dont on ne connaît pas encore le nom. Dans ce passage, tout líintérêt réside dans la découverte de líidentité de ce voyageur qui níest autre que Don José, fameux brigand présenté au début de la nouvelle qui nous révélera líhistoire de Carmen.

Lecture


Introduction :

Dans une lecture méthodique qui va cependant suivre la progression chronologique du texte nous étudierons tout díabord la description de la venta, Mérimée se livrant ici à une véritable étude ethnologique ; puis, à partir de la phrase clé " Ah ! seigneur Don José, síécria-t-elle ", nous analyserons le dévoilement progressif de Don José.


1) La description de la venta


Nous assistons ici à une organisation très méthodique, scientifique de la description. Mérimée semble síinspirer de líEcole des Annales qui dans la méthode díinvestigation en Histoire préconise líétude du cadre de vie pour étudier un peuple : le logement, la cuisine, la musiqueÖ

a) La venta
Mérimée utilise le mot " venta " avec une nuance péjorative puisque le mot auberge existe en espagnole mais il síagit de posada. La venta est une auberge sale, malfamée (voir note n°4 p. 41 à lire). Ce type díauberge se trouve déjà dans le célèbre roman picaresque de Cervantès : Don Quichotte, il síagit díun lieu traditionnel pour les romans picaresques e on peut penser que Mérimée utilise ici des témoignages et des souvenirs de ses différents séjours en Espagne.

La description est avant tout physique, il níy a aucune nuance ou connotation affective dans la description, le travail est méthodique, cíest líethnologue qui parle.`
Selon Levi-Strauss, la Culture est un ensemble de signes symboliques. La venta illustre ici une certaine culture. Tous les détails donnés renforcent líidée díutilité (occurrences du verbe servir)
Entre les lignes 172 et 179, la description parle de líarchitecture díintérieur :
" feu ", " couches " (qui souligne la pauvreté car il pouvait parler de lits), " dépendances "(les écuries ici).
Le style est sobre, les phrases sont réduites à leur stricte minimum. Ce souci du moindre détail rend la description réaliste et donc plus crédible.
Notons également le souci de líexactitude avec líutilisation de chiffres pour les mesures :
" quelques pieds au-dessus du sol ", " à vingt pas "
Il níy a aucun sentiment, ni aucun terme subjectif ou díadjectifs.
La description est sobre, précise : nous sommes dans une esthétique littéraire très proche du réalisme.
Il y a cependant dans la description également des éléments symboliques de la vie quotidienne :
Lignes 193 à 196
" cuisine " : elle est réduite au signe le plus évident comme le piment et le vin (archétypes de la cuisine espagnole qui montre le goût de líépoque pour les hispanismes). Cette référence au vin, ce passage à líivresse, à la passion anticipe le personnage de Carmen.
Le piment symbolise la thématique de la passion, le vin la thématique de líivresse que va provoquer Carmen.

b) Les habitants de la venta
.

A la ligne 180 on peut lire :
" Il níy avait díautres êtres humains "Ö " du moins pour le moment "
Il y a ici création díun suspence qui prépare le lecteur à une catastrophe à venir, à une entrée en scène.
La technique de description des personnages est la même que pour le lieu, le souci du détail est identique :
Age : " vieille femme ", " petite fille "
Cette vieille femme a un âge indéterminé, sa vieillesse lui confère une dimension symbolique, elle est líarchétype de la vieille réputée pour être une sorcière qui traîne dans les auberges et que Mérimée nía pas manqué de rencontrer.
Tenue : " vêtues de haillons "
Il níy a pas ici par contre de précisions excessives, la description est sobre.
A la suite de ces descriptions on peut relever une réflexion personnelle de líauteur qui síécarte de la fiction dans laquelle il était :
Lignes182 à 185 : " Voilà tout ce qui resteÖ "
Cette remarque personnelle sur la grandeur díantan, déchue, a un double sens :
- il est le rappel de la Préface qui soulignait le souci ethnologique de Mérimée
- cíest un parallèle évident avec Don José, jeune hidalgo " fils de qql " déchu, devenu le brigand perdu dans ce lieu sordide et pauvre.

Cette description sert donc seulement le souci scientifique de Mérimée díobservation ethnologique ; mais elle pose également un décors caractéristique, signifiant, qui nous donne des clés pour la lecture de ce qui va suivre.


2) Dévoilement progressif du personnage de Don José. (rappel de la phrase charnière)

La vieille reconnaît Don José (lignes 186 ñ 188) :
- le style direct rompt la description malgré líintervention préalable du narrateur.
- Líexclamation se fait en peu de mots, elle est sobre mais très efficace avec la redondance de " seigneur " et " don " les deux sont des titres nobiliaires.
- Don José semble jouir díune certaine considération, au moins chez ces gens décrits comme pauvres peu avant (marginaux, exclusÖ). Don José fait ici penser à une sorte de Robin des Bois. Dans ses Lettres díEspagne, Mérimée souligne díailleurs que le brigand est une grande figure dans la tradition de líHistoire espagnole moderne.
Don José réagit, et dans cette réaction, il dévoile la figure díéclat quíil a face aux misérables habitants de la venta :
" Don José fronça le sourcil et leva une main díun geste dí autorité. "
Il se montre ici comme un personnage fort, éclatant, charismatique. Il fait preuve díautorité puisque son seul geste arrête la vieille :
" qui arrêta la vieille aussitôt. "

Un répit est donné quant à líambiance lourde qui pesait sur le récit
Lignes 190-192 " Je me tournaiÖpasser la nuit. "
Le narrateur rassure ici son guide mais semble ainsi également rassurer le lecteur sur ce personnage envers qui il ne faut avoir aucune crainte. Líaction est ainsi tempérée car le narrateur veut connaître davantage Don José . La technique de Mérimée pour dépeindre les personnages est récurrente, il procède par touches successives qui sont souvent interrompues. Le dévoilement ne se fait donc que progressivement.
Lignes 144 ñ 146, la fin du repas est partagée ce qui symbolise une paix obligatoire entre ces personnages (lignes 198 à 200). La référence à la mandoline " il y a des mandolines partout en Espagne " souligne encore une fois les préoccupations de líethnologue. La référence à la musique rappelle un élément de charme qui va intimement avec Carmen, il y a prolepse ici car Don José sera envoûté par la danse de Carmen. Ce symbolisme, ces effets de prolepse síinsinuent lentement chez le lecteur et lui fait pressentir de quoi sera faite cette nouvelle.

Après líhomme autoritaire quíon a pu relever à son arrivée, Don José se présente ici comme un musicien :
" Don José en joue si bien ! " ligne 202, lui aussi a le pouvoir díenvoûter par la musique.
En lui demandant de jouer, le narrateur pousse Don José à se dévoiler et en profite pour ironiser en parlant de " musique nationale " ligne 204 :
On est en pleine contradiction ironique voulue par Mérimée puisque Don José est un Basque régionaliste opposé à cette idée díunité espagnole.
Lignes 205-206 intervient un autre élément symbolique : le cigare (cíest un gimmick au sens cinématographique = succession de signes qui apparaissent à chaque apparition díun personnage et finit par le symboliser, líannoncer).
Le chant que va entonner Don José révèle ce quíil a en lui de plus profond lignes 207-209. La voix constitue ainsi une autre étape du dévoilement du personnage ; ce níest plus ici líhomme autoritaire du début, le brigand (les adjectifs qui le désignent maintenant : rude, agréable, mélancolique, bizarre.)

Le dernier dévoilement a lieu lorsque le narrateur découvre les origines basques :
Ligne 214 : " Oui, répondit Don José díun air sombre ", cet air montre que le narrateur a trouvé un point sensible.(ses origines expliquent en quelque sorte le destin tragique du personnage).
La fin du passage est très importante, le narrateur est touché par ce personnage et le style devient plus intimiste, voir lyrique.. La référence au Satan de Milton (lire la note p.44) rappelle la chute du personnage " ange déchu " mais insiste également sur le caractère diabolique du sort qui lui a été jeté. Les interprétations du narrateur ne sont pas en fait très loin de la réalité. Le lecteur est mis en position de connaître la dernière étape du dévoilement du personnage, líexplication de son air sombre et triste : la Nouvelle peut (enfin ?) se développer.

Conclusion :
Le style qui apparaît ici est caractéristique de toute la Nouvelle, fait de sobriété et de réalisme : tout est suggéré mais tout est clair. Le critique Armand Pomartin a pu dire ainsi : " Carmen est à peine nommée quíelle existe déjà. "
Telle une scène díexposition au théâtre, tout a été préparé pour quíéclate en pleine lumière le personnage de Carmen. Cette organisation du récit níest pas sans rappeler la structure de Manon Lescaut, de líAbbé Prévost.

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Texte 2 :
Première rencontre Don José - Carmen
Chapitre III, pages 63 à 64
De " Elle avait un jupon rouge...
à ...Première sottise "
.



Situation du passage :
Extrait du chapitre 3, ce récit est raconté par Don José qui est en prison et attend la mort : un déterminisme fatal va planer sur cette scène. Dès le début du chapitre, Don José rappelle ses origines basques (première ligne du chapitre) et souligne la douleur de sa situation.

Lecture

Introduction :
Après deux chapitres destinés à présenter les protagonistes mais à vrai dire un peu longs (le narrateur aura ainsi rencontré Carmen le premier dans le chapitre 2), nous voici plongé dans líaction avec une situation très traditionnelle : la rencontre amoureuse. A travers une lecture méthodique il faudra présenter les acteurs de cette rencontre et surtout souligner le symbolisme de la situation car nous assistons à une véritable passe díarme entre Don José et Carmen.

A) Les protagonistes :

- Don José :
Il est en pleine contradiction dans cette scène (voir la différence entre le début du chapitre et la situation dans laquelle il se trouve) : entre ATTRACTION et REPULSION, entre AMOUR et HAINE. Ces contradictions ne semblent pouvoir aboutir quíà un paroxysme : le meurtre de Carmen à la fin.
Don José est le narrateur puisquíà la fin du chapitre 2 le narrateur habituel a laissé sa place :
" Cíest de sa bouche que jíai appris les tristes aventures quíon va lire. "(p.61)
La focalisation est donc sensé être interne, le point de vue sera celui de Don José :
Notons quelques indices : " mon pays " (l.677), " elle ne me plut pas " (l.682), " mon ouvrage " (l.682), " devant moi " (l.685)
Cependant, malgré ces indices, sa présence est discrète et semble écrasé stylistiquement par Carmen qui elle par contre est omniprésente, elle crève líécran.
La focalisation interne níempêche pas une certaine sincérité. Don José níarrondit pas les angles, il se présente tel quíil semble avoir réagi, avec ses défauts et ses aspects ridicules. Il se ridiculise en effet :
# Carmen est aguicheuse : " CompèreÖcoffre-fort " l.686-687, mais Don José prend ses paroles au premier degré et níy voit pas de sens symbolique :
l.688 : " Cíest pour attacher mon épinglette "
# Don José est dévirilisé par Carmen (elle le transforme en couturière), il nía plus de réaction, il capitule :
" moi, je me sentais rougir, et je ne pouvais trouver rien à lui répondre " l.691-692
# Don José se présente lui-même comme un noble basque (relire le début du chapitre) mais il est totalement passif dans cette rencontre.
" Monsieur, cela me fit líeffet díune balle qui míarrivait "
(ancien narrateur) (idée díexécution, de mise à mort)
l.697 : " je ne savais où me fourrer "
l.698 : " je demeurais immobile comme une planche "
Don José níest capable díavouer son amour quíindirectement (geste symbolique de la fleur ramassée) et hors du champ de vision de Carmen.
Carmen est maîtresse de la situation et elle correspond parfaitement ici à ces femmes sulfureuses qui passionnaient tant Mérimée, dans cette danse de séduction, elle prend toute sa dimension de mythe féminin.


- Carmen :


Dès le début de la description, Carmen est un être sensuel :
" jupon rouge fort court " l.671
" laissait voir des bas de soie blancs avec plus díun trou. " l.672
" afin de montrer ses épaules "
Carmen ne se cache pas, elle se montre et montre des attributs féminins fortement connotés sexuellement au XIX°. La description síattarde en effet sur les jambes, les femmes portaient des jupes ou robes longues et ne montraient pas leurs chevilles qui devenaient ainsi un objet de désirs (voir dans Flaubert quand Mme Bovary montre sa cheville).
La sensualité de CARMEN est présente aussi dans ses pulsions qui font que le narrateur utilise deux comparaisons appartenant au monde animal :
" elle síavançait en se balançant sur ses hanches comme une pouliche "
" suivant líusage des femmes et des chats "
Dans la Nouvelle, Mérimée compare de plus Carmen à un corbeau (l.465), à un loup (l.472) mais líimage du chat est récurrente (l.475 ñ683). Ces comparaisons font penser au monde de la sorcellerie : le loup-garou, le corbeau attribut des sorcières et le chat, animal connoté sexuellement
" elle obligerait le monde à se signer " confirme cette idée de damnation, de sorcellerie.

(reprendre ici jeudi 11 mars 1999)
Carmen provoque et séduit par son corps et par ses mots : elle parle haut et fort et prend líinitiative en tout :
" à la façon andalouse " (l.686)
" síécria-t-elle " l.689
" en riant " l.689
" épinglier de mon cúur " l.694
Cette danse de Carmen fait penser à díautres figures de mythes féminins comme Salomé mais elle transfigure surtout cette scène traditionnelle de rencontre amoureuse en image symbolique díune corrida où amour et mort sont intimement liés.


B) Une rencontre symbolique :


Le regard de Don José est subjugué, envoûté par Carmen qui semble líéblouir dès líarrivée, comme habillée de lumière ( lire juste avant le passage)
Cette expression níest pas gratuite car cíest celle qui est employée pour désigner líhabit du torrero.
Son habit est rouge : " jupon rouge ", " maroquins rouges ", " rubans de couleur de feu ", comme la cape du torrero.
Elle porte un bouquet de fleurs de cassi, ce sont des fleurs jaunes. Elle est aux couleurs de líEspagne, sang et or, couleurs emblématiques de la corrida.

La démarche de Carmen fait aussi penser au cheval qui pavane dans líarène ou au torrero qui nargue et excite le taureau. On va ainsi assister à différentes étapes techniques díune corrida, le torrero est en place et va pouvoir travailler le taureau :
" elle écartait sa mantille " l.674
" elle s ëavançait en sa balançant sur ses hanches comme une pouliche " l.677
" elle répondait à chacun faisant les yeux en coulisse " (comme si elle saluait son public) l.680
" síarrêta devant moi et míadressa la parole " l.684-685
Les passes commencent même si elles ne sont alors que verbales et le charme agit.
Líestocade est portée en une sorte de banderille fichée entre les deux yeux :
" juste entre les deux yeux " l.695.
le lancement de cette fleur est un geste qui a trois significations :
- énigmatique : il équivaut à " je tíai choisi, je tíaime " mais pourquoi lui ?
- symbolique : forte connotation de corrida, sorte de mise à mort symbolique (ou mise amor ? jeu de mot entre à mort et amour qui résume parfaitement líhistoire)
- magique : elle lui jette un sort, cíest une bohémienne comme lía signalé Don José " effrontée comme une vraie bohémienne quíelle était " (forme emphatique signifiante).

Líaccélération du rythme à la fin du passage, les structures identiques et répétitives (l.699 à 702) soulignent líétat second dans lequel se trouve Don José, líenvoûtement a agi, le sort a touché sa cible.
Cíest alors líaveu de Don José qui revient au temps de la narration, dans sa prison : " Première sottise ".

Conclusion :
La littérature a de tout temps offert de nombreux exemples de rencontres amoureuses. Líoriginalité de Mérimée ici est de nous présenter une femme sensuelle, dominatrice qui décide et contrôle toutes les étapes de la séduction. Danse díamour mais aussi danse de mort, cette image de Carmen a certainement participé à sa transformation en véritable mythe au même titre que Salomé .

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Texte 3 :
La mort de Carmen
Dénouement : chapitre III, pages 102-103
De " Nous étions dans une gorge solitaire...
à ...pour líavoir élevée ainsi. "
Remarque : le texte est long pour une lecture méthodique mais il est difficile à couper si on veut rendre compte de la progression.


Situation du passage :

Ce texte se situe à la fin du chapitre III, il síagit du dénouement de líhistoire de Carmen . Le chapitre IV est une étude sur les bohémiens en Europe sans rapport avec líintrigue quíon vient de suivre, il síagit donc du réel dénouement de la Nouvelle.
Don José a tué Garcia et propose à Carmen un nouveau départ, il líamène dans un coin isolé. A la page 101, le lecteur est préparé à la violence de ce qui va suivre :
" Carmen, lui dis-je, voulez-vous venir avec moi ?
" Je te suis à la mort, oui, mais je ne vivrai plus avec toi. "

Lecture

Dans une lecture méthodique nous étudierons ce passage comme un meurtre passionnel et donc amoureux, puis nous verrons quíil síagit davantage díun meurtre rituel, sorte de corrida pour enfin constater que ce dénouement est un aboutissement logique dû aux origines des deux protagonistes.

A) Un meurtre passionnel


Líhistoire racontée par Mérimée (utilisant différents enchâssement) est une histoire díamour, de passion et de mort. Le meurtre auquel on assiste ici est avant un meurtre passionnel, dénouement díune tragédie amoureuse.
Le texte commence par " nous " qui associe grammaticalement les amants dans un rendez-vous secret : " gorge solitaire ". Ce lieu est un indice, il síagit du dénouement car le lieu est le même quíau début (l.27)
La passion amoureuse semble encore présente, Carmen est toujours aussi provocante (síagit-il díun rendez-vous amoureux ?)
" ôta sa mantille " (geste identique à celui de la rencontre)l.1687 à 1689
" la jeta à ses pieds "
" poing sur la hanche "
" me regardant fixement "
Ces gestes sont toujours aussi sensuels mais ils participent également au rituel dont on parlera en 2.
Le champ lexical de líamour est omniprésent :
l.1694 : " Carmen ! ma Carmen ! laisse-moi te sauver et me sauver avec toi. "
l.1696 : " Je ne tíaime plus ; toi tu míaimes encore " (tout est dit ici)
l.1703 : " Tu aimes donc Lucas ? "
Oui jíai aimé et 4 fois le verbe + plaire. (lignes 1705 à 1709)
" Tíaimer encore " l.1710
Les mots utilisés soulignent le caractère passionnel de la situation : si Don José tue Carmen, cíest parce qu ëil líaime. Lorsquíelle jette la bague, symbole díalliance, il la tue.
Líarme du crime est également symbolique, il tue Carmen avec le couteau de Garcia (voir l.1471)
Cíest bien le crime passionnel díun mari trompé ou díun amant jaloux.
Cependant, díautres facteurs entrent en jeu pour interpréter cette scène. Nous assistons aussi à un meurtre rituel, une mise à mort préparée depuis longtemps, líissue fatale était inéluctable.



B) Un meurtre rituel


Les métaphores qui rapprochent cet affrontement ultime à une corrida sont nombreuses :
- la posture de Carmen (l.1687 à 1689)
- líabsence de peur face à la mort , Carmen continue à provoquer Don José même si elle sait quíil va la tuer. " Jíaurais voulu qu ëelle eût peur et qu ëelle me demanda grâce, mais cette femme était un démon. "
" Je crois encore voir son grand úil noir me regarder fixement " : fait penser au jeu des regards entre le torero et le taureau.
Le coup de grâce : " Je la frappais deux fois " est rendu díautant plus violent avec une syntaxe très rapide et líutilisation du passé simple.
Don José níhésite pas et le récit est brutalement stoppé par ce qui ressemble à une véritable mise à mort :
" Elle tomba au second cou, sans crier "
Carmen ne conteste pas, elle accepte le châtiment car cíest elle qui lía choisi :
l.1711 : " Tíaimer encore, cíest impossible, vivre avec toi je ne le veux pas " Elle choisit donc la mort .
Toute la force du personnage de Carmen, libre de choisir sa mort, prend toute sa dimension ici et malgré la plainte de Don José dans la dernière phrase : " Pauvre enfant ! ", cíest lui qui paraît pitoyable et Carmen qui prend une stature héroïque tragique.
Ce meurtre est cependant également un accomplissement.

C) Un accomplissement

Une opposition fondamentale entre les protagonistes rendait ce dénouement inévitable.
Cíest avant tout une opposition ethnologique selon Mérimée. Nous avons déjà souligné líimportance quíavaient les origines basques de Don José : une liaison avec une femme est pour lui éternelle, jusquíà la mort. Cette idéologie vient de líorthodoxie catholique très forte chez les basques.. Cette orthodoxie catholique apparaît dans tout le rituel qui suit le meurtre de Carmen :

- " Je lui creusai une fosse avec mon couteau. " (passage à rapprocher de la volonté frénétique du chevalier Des Grieux à creuser une tombe pour Manon dans Manon Lescaut).
- " Je cherchai longtemps sa bague et je la trouvai à la fin " : cette bague est symbole de pacte et díalliance (connotation religieuse)
- " Je la mis dans la fosse auprès díelle avec une petite croix "
- Fait faire une prière pour les morts et dire une messe (requiem)
Don José a en fait libéré sa conscience avec les rites de son ethnie (il en est conscient lorsquíil dit " Peut-être ai-je eu tort " ligne 1728) alors que Carmen est restée fidèle à sa culture (voir lignes 1696 et suivantes) :
" Je pourrais bien encore te faire quelque mensonge ; mais je ne veux pas míen donner la peine "

De plus, Carmen affirme son appartenance à son peuple en parlant díelle à la troisième personne :
Lignes 1700 ñ 1701 : " Comme mon rom, tu as le droit de tuer ta romi ; mais Carmen sera toujours libre. Calli elle est née, calli elle mourra. "

Les deux protagonistes restent donc fidèles à eux-mêmes jusquíau bout.

REMARQUE :
Dans líopéra, líimage de la corrida dans la mort de Carmen est encore plus évidente, les librettistes introduisent en musique de fond une corrida où Lukas torre (plus évident encore dans le film de F.Rosi où le parallèle existe grâce au montage des images)
Le texte de Mérimée y est repris en une sorte de récitatif (ce níest pas un chant)
Fin de líopéra : " Cíest moi qui líai tué, ma Carmen adorée ", cet oxymore qui met en relation à la fin Eros et Thanatos met en présence les deux principes symboliques de toute líúuvre.
(voir le jugement de Wagner donné au début sur cette fin dans líopéra).



Conclusion :
Ce passage constitue un dénouement à part entière et donne toute sa force à la tragédie du destin de Carmen. Le lecteur peut síétonner díavoir à tourner la page pour lire un chapitre qui, si intéressant soit-il, ne peut être jugé que comme un supplément qui níétait pas indispensable. On restera avec le regard noir de Carmen comme lía dit Louis Ernault en 1853 :
" On ferme le livre, et on voit encore ce grand úil noir mourant, à demi éteint, à la fois fixe et vague. "
Carmen morte entre dans la légende pour devenir un véritable mythe féminin.

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